Roberto Rossellini déclarait souvent qu’il était très attaché à Voyage en Italie : « C’était très important pour moi de montrer l’Italie, déclare-t-il à Truffaut et Rohmer dans un entretien publié aux Cahiers du cinéma en juillet 1954. Montrer Naples, cette atmosphère étrange à laquelle se trouve mêlé un sentiment très réel, très immédiat, très profond, le sentiment de la vie éternelle. C’est quelque chose qui a complètement disparu du monde. » Beaucoup de scènes d’extérieur ont été tournées dans le port et les ruelles de la ville, la caméra dissimulée dans un camion, faisant participer les Napolitains à leur insu. On retrouve donc le naturel et la turbulence des Italiens, dont Rossellini disait qu’ils étaient « les meilleurs comédiens du monde ».
Le film sort en France dans une version doublée (la vraie version est d’ailleurs celle en langue anglaise). À l’époque, il n’y eut guère que les Cahiers du cinéma pour le soutenir – les Cahiers soutenaient toujours Rossellini. Jacques Rivette y écrit qu’il lui « semble impossible de voir Voyage en Italie sans éprouver de plein fouet l’évidence que ce film ouvre une brèche, et que le cinéma tout entier doit y passer sous peine de mort ». Jean-Luc Godard est également admiratif : « Dans l’histoire du cinéma, il y a cinq ou six films dont on n’aime à faire la critique que par ces seuls mots : “C’est le plus beau des films !” Pourquoi parler, en effet, plus longuement de Tabou, Voyage en Italie ou du Carrosse d’or ? Comme l’étoile de mer qui s’ouvre et se ferme, ils savent offrir et cacher le secret d’un monde dont ils sont à la fois l’unique dépositaire et le fascinant reflet. » Claude Mauriac a d’ailleurs comparé le film aux Essais de Montaigne. C’est dire que les thuriféraires montèrent au front. Le film reçut aussi une volée de bois vert de ses détracteurs. Laissons le dernier mot au très indépendant et imprévisible Jacques Lourcelles, admirateur rossellinien parmi les plus enthousiastes : « L’intimisme du néoréalisme culmine dans Voyage en Italie, film cardinal à tous égards, puisque non seulement il parle du Nord et du Sud en tant que pôles de civilisation, mais il unit le bricolage génial et plein d’espoir du novateur artisanal à l’élégance désabusée et parfaite de l’esthète qui n’espère plus rien changer dans le monde. » (Dictionnaire des films, Robert Laffont)
La lettre d’Ingrid
En 1948, Ingrid Bergman, alors mariée et mère d’une enfant, écrit, depuis Hollywood, une lettre à Rossellini « Cher Monsieur Rossellini, j’ai vu vos films Rome, ville ouverte et Païsa, et je les ai beaucoup aimés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise, qui parle très bien anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français et qui en italien ne sais dire que "ti amo", je suis prête à venir faire un film avec vous ».
Des étreintes
« Dès l’écriture du scénario, j’ai pensé à y faire référence sans savoir vraiment comment elle s’intégrerait à mon histoire au moment du tournage. » Ce sera par une incursion «du film dans le film» que Pedro Almodóvar évoquera Voyage en Italie dans Étreintes brisées (Los abrazos rotos, 2008). Enlacés, Lena et Mateo regardent le film de Rossellini à la télévision. Lors de fouilles archéologiques, un couple pétrifié, saisis par la lave tandis qu’ils dormaient et qu’ils s’étreignaient l’un l’autre, est découvert. Cette scène bouleverse Lena, rêvant d’un amour conservé pour l’éternité.
Le tournage vu par une fripouille
George Sanders déclara à la presse qu’il n’avait jamais travaillé dans une ambiance aussi familiale alors que plus tard, il assura, dans ses Mémoires d’une fripouille (Presses Universitaires de France), que les méthodes « artisanales » de Rossellini le déprimaient complètement, souhaitant en secret « que le film ne soit jamais projeté sur un écran. » Dans son ouvrage, il décrit le cinéaste comme un excentrique caractériel, inexistant sur le tournage, plus passionné par la plongée sous-marine que par son film. Quant à l’acteur, éprouvé, il téléphonait tous les jours à son psychiatre à Hollywood…
Voyage en Italie (Viaggio in Italia )
Italie, France, 1954, 1h25, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Roberto Rossellini
Scénario : Roberto Rossellini, Vitaliano Brancati
Photo : Enzo Serafin
Musique : Renzo Rossellini
Montage : Jolanda Benvenuti
Décors : Piero Filippone
Costumes : Fernanda Gattinoni
Production : Adolfo Fossataro, Alfredo Guarini, Roberto Rossellini, Italia Film, Junior Film, Sveva Film | Interprètes : Ingrid Bergman (Katherine Joyce), George Sanders (Alexander Joyce), Maria Mauban (Marie), Anna Proclemer (la prostituée), Jackie Frost (Betty), Paul Muller (Paul Dupont), Leslie Daniels (Tony Burton)
Sortie en Italie : 7 septembre 1954
Sortie en France : 24 décembre 1954
FILM RESTAURÉ
Cineteca di Bologna
Films sans Frontières
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