Portrait d’un groupe d’amis, Vincent, François, Paul et les autres… plonge dans un milieu petit-bourgeois jusque-là préservé. Mais comme une préfiguration de la grande crise à venir, c’est à trois crises existentielles que le spectateur assiste : Vincent menacé par les remboursements de traites de sa PME et un cœur fragile, François, médecin ayant perdu ses idéaux, se sentant coupable d’avoir réussi, et Paul, écrivain en perte d’inspiration qui n’arrive pas à mettre le point final à son roman. C’est la fin d’un monde, celui de la réussite des héritiers des Trente Glorieuses, et l’avènement d’un autre, incarné par Jean, jeune contremaître de l’entreprise de Vincent. Les problèmes sont aussi d’ordre personnel, car en écho au futur choc pétrolier, c’est l’ordre familial qui est également bouleversé : les femmes s’émancipent et les épouses choisissent leurs vies et parfois quittent leurs hommes.
Finalement le thème du film n’est pas l’amitié, mais plutôt l’usure, l’échec, la fin d’une période opulente, les épreuves qui rapprochent et nourrissent l’amitié. Les personnages de Claude Sautet sont pour lui « en état de survie par rapport à la plénitude dont ils avaient rêvé. »
La mélancolie du propos trouve écho dans la mise en scène et l’ambiance donnée au film : une maison de campagne, une lumière douce mais pâle, un soleil d’hiver. L’inoubliable thème de Philippe Sarde (inspiré des six premières notes du standard américain In The Still of the Night) renforce ce sentiment de spleen. Claude Sautet confiera à François Truffaut à propose du film : « La vie est dure dans les détails mais elle est bonne en gros »
Gilles Jacob résume justement : « Si le film de Claude Sautet nous bouleverse à ce point, c’est que nous sommes tous des Vincent, des François et des Paul. Des Vincent, surtout, sur qui s’amoncellent les menaces. Nous craignons pour sa vie, pour ce cœur qui broute et réveille en nous la seule question majeure : la peur de mourir. Toute l’émotion et la leçon du film sont dans cette image crépusculaire de Vincent, frileusement blotti entre le parapluie de la sagesse et le compte-gouttes de la solitude. Quelle mélancolie. » (L’Express, 30 septembre 1974)
Une longue préparation
La rédaction du scénario, adapté du roman La Grande Marrade, a pris beaucoup de temps. Dans le roman, les personnages, plus nombreux, ne se croisent pas ; Vincent se suicide… Un temps, l’idée de faire un film sur chaque personnage est évoquée tellement le matériau est riche ! Mais Claude Sautet, Jean-Loup Dabadie et Claude Néron décident de développer les personnages qui les intéressent le plus. Finalement, « six mois avant d’attaquer la page 1 ! » confiera Dabadie.
Une colère inspirée
Dans la scène de colère de Michel Piccoli lors du repas, l’acteur s’est inspiré des célèbres montées de sang de Claude Sautet. Michel Piccoli : « Ce matin-là, je m’interrogeais sur la façon dont j’allais bien pouvoir me mettre en rogne, alors je l’ai imité. Les techniciens qui ne se trouvaient pas dans la pièce pensaient tous qu’il avait piqué sa crise. » Jean-Loup Dabadie confirme : « Il y a eu transfusion de sang du personnage de Claude à celui de François. »
Dédicace
Le film est très bien reçu par la critique. Mais l’une d’entre elles touche Claude Sautet plus que les autres : celle de François Truffaut. « Tout beau film est souterrainement dédié à quelqu’un et il me semble que Vincent, François, Paul et les autres… pourrait l’être à Jacques Becker car il l’aurait profondément touché comme il touche tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que les choses qu’ils font. Vincent, François, Paul et les autres… c’est la vie. Claude Sautet c’est la vitalité. »
Vincent, François, Paul et les autres…
France, Italie, 1974, 1h58, couleurs (Eastmancolor), format 1.66
Réalisation : Claude Sautet
Scénario : Jean-Loup Dabadie, Claude Sautet, Claude Néron, d’après le roman La Grande Marrade de Claude Néron
Photo : Jean Boffety
Musique : Philippe Sarde
Montage : Jacqueline Thiédot
Décors : Théobald Meurisse
Costumes : Georgette Fillon
Production : Raymond Danon, Roland Girard, Lira Films, President Produzioni
Interprètes : Yves Montand (Vincent), Michel Piccoli (François), Serge Reggiani (Paul), Gérard Depardieu (Jean), Stéphane Audran (Catherine), Marie Dubois (Lucie), Ludmila Mikaël (Marie), Antonella Lualdi (Julia), Umberto Orsini (Jacques), Catherine Allégret (Colette), Nicolas Vogel (Clovis), Betty Beckers (Myriam), Jacques Richard (Armand), Pierre Maguelon (Farina), Jean-Denis Robert (Pierre), Yves Gabrielli (Michel), Maurice Auzel (Simon), Jean Capel (Jamain), Mohamed Galoul (Joe Catano), David Tonelli (Marco), Myriam Boyer (Laurence), Henri Coutet (Henri)
Sortie en France : 2 octobre 1974
FILM RESTAURÉ
StudioCanal
Ressortie en salle le 2ème trimestre 2015, par Les Acacias Distibution
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