« Peu de gens seraient amoureux si on ne leur avait jamais parlé d’amour. » Pour Claude Sautet, cette maxime de La Rochefoucauld pourrait être celle de Stéphane, héros de glace d’Un cœur en hiver. Librement inspiré par La Princesse Mary, chapitre d’Un héros de notre temps de Mikhaïl Lermontov, publié dans les années 1840, le film dévoile un homme qui se croit incapable d’amitié et d’amour, et qui par jalousie, détruit l’histoire d’amour de celui qui le considère comme un ami, en se faisant aimer de celle qu’il aime, avant de l’humilier en lui jetant au visage un fatal : « Je ne vous aime pas ! »
Claude Sautet, avec Un cœur en hiver, poursuit son travail sur la vie intérieure, sur ces personnages solitaires et retirés du monde, commencé avec Quelques jours avec moi. Mais le Martial introverti du film précédent est ici devenu un cas pathologique.
Dans les premiers traitements, Stéphane est un homme de glace, manipulateur, mauvais et pervers. Mais au fil des développements du scénario, l’insensible devient la victime de ses propres agissements, celui qui passe sans doute à côté de sa vie et de son histoire d’amour. Ce personnage, perçu comme égoïste, sera finalement le seul capable du geste le plus altruiste du film. Dans une scène poignante – et novatrice pour le cinéma français –, Stéphane accepte d’abréger les souffrances de Lachaume, son maître malade, la seule personne qu’il croit aimer. Ce geste s’avère être une libération pour lui, qui symboliquement, et contrairement aux traditions, ouvre grand les fenêtres de la maison au petit matin.
Dans ce film en demi-teinte, aux tons hivernaux donnant une atmosphère douce et calme, la direction d’acteurs de Sautet est à son sommet. Daniel Auteuil, à qui le cinéaste avait ouvert la voie des rôles dramatiques, réussit, monument de sobriété, le subtil mélange entre froideur apparente et sensualité contenue. Emmanuelle Béart, quant à elle, grâce à une longue et assidue préparation, est son personnage, entière, logique, combative, et désarmée par sa passion pour Stéphane, devenue obsessionnelle. Enfin, André Dussolier, superbe, chaleureux, loyal et social, doté d’une autorité souveraine, véritable élan de vie du film.
« Si l’on peut parler de “magie invisible”, c’est bien à propos de ce film qui se tient, presque sans défaillance, sur la note la plus haute atteinte par un cinéaste dont les exigences n’ont jamais été aussi grandes. » Dominique Rabourdin (Sautet par Sautet, Dominique Rabourdin et N. T. Binh, éd. de La Martinière)
De titres en titre
Avant de définitivement s’intituler Un cœur en hiver, le film passera par Cœur de glace, Valet de pique, Femme de cœur et valet de pique… Autant de titres qui témoignent de l’évolution de l’histoire au fur et à mesure de son écriture.
À la vie comme à l’écran
Si Claude Sautet imagine très rapidement Emmanuelle Béart en Camille, il hésite à choisir Daniel Auteuil pour Stéphane, les deux acteurs étant en couple dans la vie. Finalement, ce sera un atout pour les acteurs. Daniel Auteuil : « J’étais impressionné parce que notre pari secret était de ne rien donner à l’autre de ce qu’il connaissait déjà. Il fallait se surprendre. On s’est d’ailleurs tellement surpris qu’on ne savait pas comment réagir au jeu de l’autre ! Il y avait là un malaise fécond. »
Apprentissage
Pour le rôle de Camille, Claude Sautet a tenu à ce qu’Emmanuelle Béart apprenne le violon pendant plus d’un an. Pour le cinéaste, ce travail lui a donné « une confiance, une combativité qui allait dans le sens de son personnage. » Elle jouera d’ailleurs par cœur et synchrone tous les morceaux de Ravel.
En immersion
Claude Sautet choisit le luthier Étienne Vatelot comme conseiller technique. C’est également son atelier qui sera reproduit en studio. Pendant tout le tournage,
un des assistants de Vatelot sera sur le plateau quotidiennement afin de conseiller les comédiens sur les gestes à avoir, la façon de tenir les instruments, les termes à employer… La justesse jusque dans les moindres gestes.
Récompenses
Un cœur en hiver recevra le Lion d’argent à la Mostra de Venise en 1992, et vaudra à Claude Sautet et André Dussollier respectivement le César du meilleur réalisateur et celui du meilleur acteur dans un second rôle.
Un cœur en hiver
France, 1992, 1h45, couleurs (Fujicolor), format 1.66
Réalisation : Claude Sautet
Scénario : Claude Sautet, Jacques Fieschi, Jérôme Tonnerre, avec la collaboration de Yves Ulmann
Photo : Yves Angelo
Musique : Maurice Ravel (Sonates, Trio), Philippe Sarde
Montage : Jacqueline Thiédot
Décors : Christian Marti
Costumes : Corinne Jorry
Production : Philippe Carcassonne, Jean-Louis Livi, Film Par Film, Cinéa, Orly Films, SEDIF, Paravision International, D.A. Films, FR 3 Cinéma
Interprètes : Daniel Auteuil (Stéphane), Emmanuelle Béart (Camille), André Dussollier (Maxime), Élisabeth Bourgine (Hélène), Brigitte Catillon (Régine), Maurice Garrel (Lachaume), Myriam Boyer (Madame Amet), Stanislas Carré de Malberg (Brice), Jean-Luc Bideau (Ostende)
Sortie en France : 2 septembre 1992
FILM RESTAURÉ
StudioCanal
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