Cinéaste ancré à Winnipeg au Canada, Guy Maddin est un artisan, un artiste bricoleur d’images, dont l’univers personnel est empreint de poésie et d’une farouche indépendance. Influencé par le cinéma des origines, il a créé une œuvre unique, à mi-chemin entre cinéma et art plastique. Aussi, The Saddest Music in the World est un film à la fois pleinement sien mais également un peu à la marge de sa filmographie. Pour la première fois, il fait appel à des comédiens connus, et en premier lieu à Isabella Rossellini à laquelle il a pensé pendant toute l’écriture du film.
The Saddest Music in the World est un cabinet de curiosités cinématographiques. Entre mélodrame, humour noir et onirisme, il développe un univers étrange et envoûtant. Comme le résume la comédienne, « The Saddest Music in the World rend hommage au cinéma muet, aux comédies américaines des années 20-30, au surréalisme de Buñuel, à l’expressionnisme d’Eisenstein. » La poésie surréaliste est partout, du cœur d’un enfant conservé dans un bocal plein des larmes de son père, aux jambes en verre remplies de bière d’une femme amputée. La narration plus classique que dans les autres œuvres de Maddin permet de développer une galerie de personnages extraordinaires, prise au sein de querelles familiales et de jalousies amoureuses. Isabella Rossellini y est une superbe directrice de concours de chant, une impératrice à la Sternberg, à la beauté incandescente et charnelle. Le noir et blanc granuleux et lumineux, ainsi que les incursions oniriques en couleurs, confèrent au film un statut d’œuvre plastique.
« Ce decorum pourrait faire parfois oublier que Maddin n’est pas seulement virtuose et amusant. Son amour du cinéma est plus profond, et l’on peut aussi lire ce mélodrame surréaliste comme la complainte d’un enfant bâtard, écartelé entre les deux histoires du cinéma, l’européenne et l’américaine. Les deux frères qui concourent pour le titre de musicien le plus triste sont les incarnations de ces deux familles, entre lesquelles Maddin a créé un monde à lui, un espace dans lequel il construit une œuvre dont la bizarrerie éblouit, mais peut aussi, pour peu qu’on lui prête l’attention qu’elle mérite, émouvoir. »
(Thomas Sotinel, Le Monde, 22 février 2006)
Étonnante rencontre
Lors de sa première rencontre avec Guy Maddin (afin de vérifier si le réalisateur n’était pas « un peu trop fou ! » - sic), Isabella Rossellini découvre un homme étonnant : « Quand je suis arrivée chez lui, il m’a raconté tout naturellement que le cadavre de son grand-père s’était retrouvé dans la rivière après un éboulement de terrain dans le cimetière et qu’on ne pouvait pas le réenterrer avant que la terre ne dégèle. Voilà une entrée en matière pour le moins inhabituelle ! » (Le Monde, 22 février 2006)
Charbon
Guy Maddin expliqua à Isabella Rossellini que lorsqu’il était enfant, il avait une télévision en noir et blanc dont la réception était très mauvaise, donnant à tous les programmes un côté « charbonneux ». Ce serait la raison pour laquelle il est attaché à ce grain d’images…
Des admirateurs de choix
Tom Waits, David Cronenberg et Martin Scorsese sont tous les trois de fervents défenseurs du travail de Guy Maddin.
The Saddest Music in the World
Canada, 2003, 1h39, noir et blanc et couleurs, format 1.85
Réalisation : Guy Maddin
Scénario : Kazuo Ishiguro, George Toles, Guy Maddin, d’après une histoire de Kazuo Ishiguro
Photo : Luc Montpellier
Musique : Christopher Dedrick
Montage : David Wharnsby
Décors : Matthew Davies
Costumes : Meg McMillan
Production : Niv Fichman, Jody Shapiro, Rhombus Media, Buffalo Gal Pictures, Ego Film Arts
Interprètes : Mark McKinney (Chester Kent), Isabella Rossellini (Lady Helen Port-Huntley), Maria de Medeiros (Narcissa), David Fox (Fyodor Kent), Ross McMillan (Roderick Kent/Gravillo the Great), Louis Negin (le devin aveugle), Darcy Fehr (Teddy), Claude Dorge (Duncan Elksworth), Talia Pura (Mary)
Présentation au Festival de Venise : 31 août 2003
Présentation au Festival de Toronto : 7 septembre 2003
Sortie en France : 22 février 2006
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