« J’imaginais depuis longtemps un présentateur des infos qui annonce un crime et confesse aussitôt qu’il en est l’auteur, raconte Pedro Almodóvar. Cette scène me fascinait par son rapport avec la vérité, avec la dramatisation, et par son pouvoir sur le spectateur. C’est de là qu’est partie l’histoire de Tacones lejanos. » (Cahiers du cinéma, n° 446, juillet-août 1991). Dès lors, le cinéaste développe son récit et cherche à découvrir ce qui a pu amener son personnage à cette situation.
Rebeca a soif d’un amour qui ne lui a jamais été donné, celui de sa mère Becky, monstre d’égoïsme qui a toujours privilégié sa carrière. Pour se rapprocher de celle qui l’a quittée alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle a tout tenté : s’habiller, se coiffer, et même chanter comme elle. En vain. Alors elle épouse Manuel, l’ex-amant de sa mère, et fréquente un cabaret où le travesti Femme Letal présente un numéro où il incarne Becky. Femme Letal devient son substitut affectif. Lorsque Becky revient dans la vie de Rebeca, plus rien ne doit se mettre entre elles, et encore moins Manuel, l’homme de ces deux femmes.
Talons aiguilles est une douloureuse histoire d’amour entre mère et fille, une introspection de la nature féminine. Pedro Almodóvar fait éclater la vérité des sentiments au milieu des faux-semblants de la télévision et du spectacle. Lorsque Rebeca avoue son crime en direct au journal télévisé, le rire est d’abord de mise devant ce spectacle incroyable. Mais rapidement, l’émotion prend le dessus, ainsi que la gêne d’avoir d’abord ri. La subtilité du cinéaste est d’avoir enchaîné les sentiments dans ce sens et non d’avoir terminé cette confession de façon légère et burlesque. Le finale est extrêmement sobre : le geste de Becky est-il un sacrifice, une rédemption, ou bien une dernière impulsion la transformant en héroïne aux yeux de sa fille éternellement redevable ?
Nostalgique et sentimental, Talons aiguilles est également un savant équilibre entre humour et mélodrame. Pour preuve, la réjouissante scène de sexe acrobatique entre Rebeca et Femme Letal… Lors de sa visite sur le plateau du film, Frédéric Strauss écrivait : « Tacones lejanos nous réserve donc plus d’une surprise mais le film auquel Almodóvar pense le plus pendant ce tournage étant le fameux Leave Her to Heaven (Péché mortel) de John M. Stahl avec Gene Tierney, on peut parier sans attendre, que le réalisateur espagnol ne manquera pas, avec ce nouveau long métrage, de redonner au mélodrame de somptueuses lettres d’or. » (Cahiers du cinéma, n° 446). Pari gagné.
Traduction
Les traductions française et anglaise du titre ne sont pas tout à fait justes. La traduction littérale aurait dû être Talons lointains en référence au bruit rassurant des talons de Becky qu’entendait Rebecca enfant lorsque sa mère rentrait tard.
Départ
Au dernier moment, Antonio Banderas abandonne le rôle prévu pour lui. Il part aux États-Unis pour un important second rôle dans Les Mambo Kings d’Arne Glimcher (The Mambo Kings, 1992). C’est le début d’une carrière hollywoodienne pour lui et l’entrée de Miguel Bosé dans l’univers d’Almodóvar.
Becky à travers Madrid
Un peu avant la sortie du film, Pedro Almodóvar souhaitait recouvrir les murs de Madrid de centaines d’affiches annonçant le spectacle de Becky del Paramo. L’incursion de la fiction dans la réalité ne put malheureusement se faire pour des raisons logistiques.
Première en talons
Lors de la spectaculaire fête organisée pour la première du film, les invités sont véhiculés dans de gigantesques chaussures à talons !
Talons aiguilles (Tacones lejanos )
Espagne, France, 1991, 1h53, couleurs (Eastmancolor), format 1.85
Réalisation & scénario : Pedro Almodóvar
Photo : Alfredo Mayo
Musique : Ryûichi Sakamoto, Luz Casal (Piensa en mí, Un año de amor), Miles Davis (Soleá, Saeta), George Fenton (Beyond My Control, A Final Request)
Montage : José Salcedo
Décors : Pierre-Louis Thévenet
Costumes : José María De Cossío
Production : Agustín Almodóvar, Enrique Posner, El Deseo, Ciby 2000
Interprètes : Victoria Abril (Rebeca), Marisa Paredes (Becky del Paramo), Miguel Bosé (le juge/Femme Letal/Hugo), Pedro Díez del Corral (Alberto), Féodor Atkine (Manuel), Ana Lizaran (Margarita), Rocio Munoz (Rebeca enfant), Mairata O’Wisiedo (la mère du juge), Miriam Díaz Aroca (Isabel), Cristina Marcos (Paula), Bibi Andersen (Chon), Nacho Martinez (Juan), Javier Bardem (le régisseur TV), Agustín Almodóvar (le client de la boutique de photo)
Sortie en Espagne : 25 octobre 1991
Sortie en France : 15 janvier 1992
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