Billetterie

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

¿ Qué he hecho yo para merecer esto !!

de Pedro Almodóvar , Espagne , 1984

Pour équilibrer son mince budget familial, Gloria (Carmen Maura) fait des ménages et n’a pas une minute de libre. De retour chez elle, elle doit s’occuper de tout le monde : son mari, un chauffeur de taxi toujours amoureux de son ancienne maîtresse, sa belle-mère, adorable radine, et ses deux fils, Toni, qui traficote de la drogue au lieu d’aller à l’école, et Miguel, qui couche avec le père de ses copains... Ainsi que de ses voisines qui font presque partie de la famille. Pour tenir le coup, Gloria prend des amphétamines. Jusqu’au jour où la pharmacienne refuse de lui en vendre...

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? est une plongée dans le quotidien d’une femme, épouse, mère de famille, maîtresse de maison et femme de ménage. Une vie tout ce qu’il y a de plus normale en apparence. Mais c’est sans compter sur les personnalités déglinguées et les tempéraments exaltés de son entourage toxique. Dans cette apparente comédie, Pedro Almodóvar dessine des portraits cruellement incisifs de ses protagonistes avec une grande justesse. Il met en valeur ses seconds rôles, tous plus délicieux – et fous – les uns que les autres. Et le plus beau de ces portraits est celui de Gloria, magistralement interprété par Carmen Maura. L’actrice reste sobre au milieu de la folie qui règne. Ce personnage de femme libre (après l’assassinat de son époux à coups de jambonneau) mais pas libérée, est proche des femmes au foyer du néoréalisme italien, incarnées par Anna Magnani ou Sophia Loren.

QUEST CE QUE JAI FAIT POUR MERITER CA

Mais Gloria n’est pas le seul personnage principal de Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Madrid, et en particulier son quartier de la Concepción, est aussi primordial. Dans un entretien avec Borjo Cassini pour le dossier de presse du film, Pedro Almodóvar précise : « [Ce quartier] représente l’idée que Messieurs Banus (célèbre constructeur immobilier) et Franco se faisaient du confort, un confort exclusivement destiné au prolétariat. […] Des commodités grotesques, infernales, impossibles à vivre. L’esthétique du quartier m’avait profondément impressionné. […] Qu’est-ce que j’ai fait… est un film très laid… Autant les intérieurs que les extérieurs, tout est moche… » Pour accentuer ce sentiment de laideur et d’isolement, les couleurs sont hivernales et sordides. Les plans sont pour la plupart fixes, rendant palpable le confinement de ce petit appartement. Les seules incursions de pop et de couleur sont les intermèdes délirants des faux spots publicitaires, compagnons de la ménagère et asservissements des masses.
Dans ce film grinçant, Pedro Almodóvar remplace tous les codes du mélodrame par ceux de l’humour noir. Il s’empare des situations a priori choquantes (pédophilie, nazisme, prostitution, drogue) et les tourne en dérision, il brasse tous les clichés afin de mieux les faire exploser. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? est survolté, méchant, hilarant. Mais également très émouvant, comme le souligne le critique Philippe Rouyer : « [L’apparente bouffonnerie des protagonistes] masque donc une humanité bouleversante qui atteint parfois au tragique. Pathétiques en dépit de leurs conduites échevelées, ces pantins nous rappellent à chaque instant qu’ils sont aussi des êtres de chair et de sang. Par là, ils nous touchent et c’est déjà une raison suffisante pour apprécier le film. » (Positif, n° 317, juillet 1987)

Inspiration personnelle
Le cinéaste confiera que Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? est le film dans lequel il a mis le plus de souvenirs liés à sa propre famille : « Le personnage de Chus Lampreave est inspiré de ma mère et utilise des expressions courantes qui sont typiquement celles qu’elle emploie. Les vêtements de Carmen Maura, qui ont une grande importance pour moi, appartenaient à mes sœurs ou à des amies de mes sœurs chez qui je suis allé les chercher. ». La mère du réalisateur, Francisca Caballero, fera d’ailleurs ici sa première apparition au cinéma.

Une arme ?
« L’humour est l’arme des Espagnols contre ce qui les fait souffrir, contre ce qui les inquiète, contre la mort. » (Conversations avec Pedro Almodóvar, Frédéric Strauss, Cahiers du cinéma)

Publicité tapageuse
Dans un entretien avec Bernard Cohen (Le Monde, 9 juin 1987), Pedro Almodóvar relate : « Quand le film est sorti en Espagne, la campagne publicitaire frisait le délit judiciaire : l’annonce disait en gros : "Si tu es lasse de ton mari, tu n’as qu’à le tuer, ça sera moins long et moins coûteux qu’une séparation légale." Je m’attendais à des protestations, il n’y en a pas eu. »

Sur les écrans américains
Suite à sa présentation au festival New Directors – New Films de New York, le film sera le premier du cinéaste à bénéficier d’une sortie nationale aux États-Unis.

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? (¿ Qué he hecho yo para merecer esto !! )
Espagne, 1984, 1h47, couleurs (Eastmancolor), format 1.66
Réalisation & scénario : Pedro Almodóvar  
Photo : Ángel Luis Fernández
Musique : Bernardo Bonezzi, Miguel de Molina (La bien pagá), Zarah Leander (Nur nicht aus Liebeweinen)
Montage : José Salcedo
Décors : Román Arango, Pin Morales
Costumes : Cecilia Roth
Production : Tesauro, Kaktus Producciones Cinematográficas
Interprètes : Carmen Maura (Gloria), Luis Hostalot (Polo), Ryo Hiruma (le professeur de kendo), Ángel de Andrés López (Antonio), Gonzalo Suarez (Lucas), Verónica Forqué (Cristal), Juan Martínez (Toni), Chus Lampreave (la grand-mère), Kiti Mánver (Juani), Sonia Anabela-Holimann (Vanessa), Miguel Ángel Herranz (Miguel), Carmen Giralt (la concierge), Amparo Soler Leal (Patricia), Emilio Gutiérrez Caba (Pedro), Agustín Almodóvar (un caissier de la banque), El Churri (le dealer), Cecilia Roth (la fille de l’annonce), Diego Caretti (le garçon de l’annonce), Pedro Almodóvar (un passager de l’autobus)


Sortie en Espagne : 25 octobre 1984
Sortie en France : 3 juin 1987

FILM RESTAURÉ
El Deseo
TF1 DA

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