Nosferatu fit l’admiration des surréalistes, André Breton, Robert Desnos ou encore Georges Sadoul, qui racontait : « Pendant des semaines, nous nous sommes répétés, comme une expression de pure beauté convulsive, le sous-titre du film, au moment où le héros s’achemine vers l’obscur château des Carpates : “Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre”. » (Histoire générale du cinéma, Denoël). Ironie du sort, cette formule, devenue mythique, ne doit rien à Murnau, mais est le travail d’un illustre inconnu, le traducteur français…
Nosferatu est une œuvre qui porta le muet au niveau des arts nobles, tout en marquant la véritable naissance du cinéma fantastique. On dira de Nosferatu comme Mabuse, Caligari et les autres créatures expressionnistes, qu’ils furent les signes avant-coureurs d’un chaos social bientôt incarné dans le nazisme. Mais Nosferatu est avant tout un magnifique songe visuel, hanté par la mort et les fantômes. Le scénario adapte librement le Dracula de Bram Stoker. Son film demeurera la référence absolue pour les nombreuses adaptations du roman qui suivirent. La force de Nosferatu vient également du contre-pied à l’esthétique expressionniste adopté par Murnau. Alors que Caligari exploite l’irréalité du tournage en studios, Murnau choisit de tourner, en grande partie, dans des décors naturels, dans les montagnes slovaques, dans les rues de Rostock. Dans un jeu d’ombres et de lumières – exceptionnelle photo de Fritz-Arno Wagner –, Murnau écrit une symphonie de l’horreur, où un univers provincial bourgeois se transforme en paysage de mort et de désolation sur le passage de Nosferatu.
Rapidement une aura de mystère enveloppa le film, qui, dépassant le cadre strict de l’expressionnisme, a acquit un statut aussi irremplaçable qu’énigmatique.
« C’est Murnau, et Murnau seul, en qui l’expressionnisme allemand aura trouvé son épanouissement. […] Observez un cadrage de Nosferatu. Rien de plus simple en apparence, de plus rassurant. […] Mais c’est au cœur même de l’indifférence que la tragédie va s’installer. […] Une horreur sans nom guette dans l’ombre, derrière ces personnages tranquilles, installée dans un coin du cadre comme un chasseur guettant sa proie. » (Alexandre Astruc, Cahiers du cinéma, n° 18, décembre 1952)
Rumeurs
À la sortie de Nosferatu, on s’interroge… Qui est ce Max Schreck qui incarne ce Nosferatu si effrayant ? On parle de prête-nom (Schreck signifie terreur / effroi en allemand). On dit aussi que c’est Murnau lui-même qui joue… Mais il s’agit bien du dénommé Max Schreck, acteur munichois, qui jouera plus tard avec Max Ophuls. Mais il se murmure alors que si l’homme incarne si bien Nosferatu, c’est parce que lui-même est un vampire…
Stoker, non crédité
Si Murnau s’est bien inspiré du roman de Stoker, il n’obtint pas de ses ayants droit l’autorisation de le faire. C’est donc pour cette raison que de nombreux détails (dont les noms) ont été modifiés et que Stoker n’est pas crédité au générique.
La veuve de l’auteur intenta un procès et le jugement exigea la destruction de toutes les copies. Ce jugement ne fut pas strictement appliqué…
Première
Nosferatu est la première adaptation au cinéma de l’œuvre de Bram Stoker publiée en 1897. Il y en aura par la suite beaucoup d’autres dont Dracula de Tod Browning (1931), Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog (Nosferatu : Phantom der Nacht, 1979), Dracula de Francis Ford Coppola (Bram Stoker’s Dracula, 1992)…
Nosferatu, le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens )
Allemagne, 1922, 1h35, noir et blanc, format 1.33
Réalisation : Friedrich Wilhelm Murnau
Scénario : Henrik Galeen, d’après le roman Dracula de Bram Stoker
Photo : Fritz-Arno Wagner
Décors & costumes : Albin Grau
Production : Enrico Dieckmann, Albin Grau, Prana-Film
Interprètes : Max Schreck (le comte Orlok/Nosferatu), Alexander Granach (Knock), Gustav von Wangenheim (Hutter), Greta Schröder (Ellen), Georg H. Schnell (Harding), Ruth Landshoff (Ruth), John Gottowt (le professeur Bulwer), Gustav Botz (le professeur Sievers), Max Nemetz (le capitaine), Wolfgang Heinz (un marin), Albert Venohr (un marin), Eric van Viele (un marin)
Sortie en Allemagne : 4 mars 1922
Sortie en France : octobre 1922
FILM RESTAURÉ
Murnau Stiftung
CINÉ-CONCERT
Projection à l’Auditorium de Lyon, accompagné par l'Orchestre national de Lyon, sous la direction de Timothy Brock.
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