Des producteurs aux acteurs, personne ne voulait de cette histoire. Il aura fallu courage, abnégation et force de conviction à Frank Capra pour réaliser cette comédie de mœurs jubilatoire, communément admise comme fondateur de la screwball comedy. Au départ, Harry Cohn, patron de la Columbia, ne veut pas d’un film d’autobus, considéré comme un sous-genre, MGM et Universal venant toutes deux d’en sortir un, sans succès. Les acteurs eux refusent le film tour à tour. Après les défections de Myrna Loy, Margaret Sullavan, Miriam Hopkins, Loretta Young, Constance Bennett… c’est vers Claudette Colbert que se tourne Capra. Elle accepte du bout des lèvres, à la condition que le film se fasse en quatre semaines et que son salaire soit doublé. Elle s’attend à ce que Capra refuse, il accepte. Elle traînera des pieds pendant tout le tournage, annonçant à tous qu’elle joue dans le plus mauvais film de sa carrière. Clark Gable, quant à lui, est obligé par la MGM de jouer dans New York-Miami : il a refusé plusieurs rôles à la suite, tourner pour un petit studio peu prestigieux sera sa punition ! Peu motivé, il arrive complètement saoul à son premier rendez-vous avec le réalisateur… Malgré tous les obstacles, la magie Capra opère. Le cinéaste tire parti des caprices de Claudette Colbert pour alimenter son personnage, et obtient de ses deux interprètes naturel et fougue. Ce jeu vaudra d’ailleurs aux deux acteurs rétifs le seul Oscar de leur carrière.
Dans cette version moderne de La Mégère apprivoisée, Frank Capra est fidèle à lui-même. La réalisation rythmée et trépidante, les plans courts, donnent au film une cadence endiablée, servant un propos sarcastique : la jeune femme riche et suffisante s’adoucit au contact d’un homme de classe moyenne, les railleries laissent place à une idylle, les différences de classe, le chômage, la crise s’effaçant face à ce rêve américain.
Se jouant des règles en vigueur (le code Hays imposera sa rigueur morale sur les productions jusqu’à la moitié des années 1960), Frank Capra instille au film une dose d’érotisme et de sensualité : Claudette Colbert rendant l’auto-stop bien plus efficace en montrant sa jambe aux automobilistes est devenu une scène mythique. Comme l’est aussi celle du “mur de Jéricho”, fameux rideau tendu entre les deux lits de la chambre partagée par cet homme et cette femme non mariés, faible rempart face au désir naissant… Le mur finira évidemment par se lézarder, hors champ, laissant de côté puritanisme et différence de classe.
« Comme tous les grands films, New York-Miami est un film humain. Qu’il nous fasse sentir, par le biais de la comédie, ce qui va être l’engagement de tout un pays est une raison de plus d’admirer Frank Capra et son œuvre. » (André Moreau, Télérama, 24 décembre 1997)
Sans bus
À l’origine, le film devait avoir le même titre que la nouvelle de Samuel Hopkins Adams que Frank Capra lut dans Cosmopolitan : Night Bus. Après les échecs essuyés par les autres studios avec leurs "films d’autocar", Harry Cohn exige que le mot bus soit retiré : « Ça fait fuir les gens ! » Night Bus devient donc It Happened One Night.
Gable sans maillot de corps !
Au moment du tournage de la scène dans laquelle Clark Gable se déshabille, l’acteur a quelques difficultés à retirer son maillot de corps (un must, à l’époque…) tout en tenant son dialogue. Il est décidé de se débarrasser de ce sous-vêtement gênant. Gable lance une mode et les ventes de maillot de corps baissent de façon vertigineuse. La légende dit que certains fabricants, désespérés, intentèrent une action contre Columbia !
What’s up doc ?
Il semblerait que ce soit en voyant Clark Gable grignoter une carotte dans New York-Miami que Bob Clampett eut l’idée de créer un personnage dessiné qui mange des carottes tout en parlant. Le légendaire Bugs Bunny est né !
Le premier film aux cinq Oscars
New York-Miami reçut en 1935 les cinq principaux Oscars : meilleur film, meilleur scénario adapté, meilleur réalisateur, meilleur acteur pour Clark Gable et meilleure actrice pour Claudette Colbert. Il faudra attendre 1976 et Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest, Milos Forman, 1975) pour que l’exploit soit renouvelé.
New York-Miami (It Happened One Night )
États-Unis, 1934, 1h45, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Frank Capra
Assistant réalisation : Charles C. Coleman
Scénario : Robert Riskin, d’après la nouvelle Night Bus de Samuel Hopkins Adams
Photo : Joseph Walker
Musique : Louis Silvers
Montage : Gene Havlick
Décors : Stephen Goosson
Costumes : Robert Kalloch
Production : Frank Capra, Columbia Pictures
Interprètes : Clark Gable (Peter Warne), Claudette Colbert (Ellie Andrews), Walter Connolly (Alexander Andrews), Roscoe Karns (Shapeley), Jameson Thomas (King Westley), Alan Hale (Danker), Arthur Hoyt (Zeke), Blanche Friderici (la femme de Zeke), Ward Bond (le chauffeur de bus), Wallis Clark (Lovington)
Sortie aux États-Unis : 23 février 1934
Sortie en France : 12 septembre 1934
FILM RESTAURÉ
Sony Pictures Entertainment
Park Circus
Ressortie en salle début 2015, par Park Circus
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