Monsieur Smith au Sénat

Monsieur Smith au Sénat est une version politique de L’Extravagant Mr. Deeds. Les deux films ont beaucoup en commun : deux hommes de province, héritiers inattendus (vingt millions pour l’un, un poste de sénateur pour l’autre), qui partent en ville et devront faire face à la corruption et aux affaires. De nombreuses analogies existent entre tous les personnages, dont ceux interprétés, dans les deux cas, par Jean Arthur, jeune femme cynique, travaillant au départ pour l’ennemi, et qui doucement tombe amoureuse du provincial idéaliste, mis à mal par la presse.
Mais c’est bien la première fois que Frank Capra aborde le thème de la machine du pouvoir, avec ses groupes d’intérêts économiques et politiques, menaçant la valeur morale du système gouvernemental américain. Car l’émigré sicilien a une foi inébranlable dans la démocratie et les institutions américaines. Il décide de l’affirmer tant cinématographiquement que politiquement, au moment où en Europe, la démocratie est renversée par le régime nazi.

Décrivant un monde politique foisonnant où chacun peut changer d’avis, Monsieur Smith au Sénat est une véritable comédie dramatique, emplie de gags, de personnages hauts en couleurs et truculents, basculant dans une forte émotion grâce au discours long de vingt-trois heures du sénateur Smith, flot verbal menant le politicien au bord de l’évanouissement. James Stewart revêt ici l’un de ses plus beaux rôles, enthousiaste et fougueux. Son interprétation donne à son personnage vie, nerf et engagement. Tous les autres acteurs, filmés par Capra avec autant d’attention que les rôles principaux, ont un jeu d’une rare spontanéité. En effet, au sein du Sénat, Capra filme avec plusieurs caméras, captant les réactions des uns lors des interventions des autres, et inversement. Le rendu est exceptionnel et fait de Monsieur Smith au Sénat un de ses chefs-d’œuvre.
Dernier film made in USA projeté en France avant l’interdiction de toute œuvre hollywoodienne par les occupants allemands, Monsieur Smith au Sénat sera applaudi à tout rompre. Un honneur qui permettra à Frank Capra de reprendre à son compte, dans ses mémoires (Hollywood Story), les mots de son héros Jefferson Smith : « La liberté est un bien trop précieux pour être enterrée dans les livres. Les hommes devraient la porter à bout de bras – même à l’écran – chaque jour de leur vie et dire : “Je suis libre de penser, de parler. Mes ancêtres ne l’étaient pas. Je le suis. Mes enfants le seront.” »

Devant les interéssés
Le 17 octobre 1939, une projection est organisée devant le Club national de la Presse au Constitution Hall à Washington. Officiels et journalistes politiques sont conviés à cette séance de gala. Harry Cohn et Frank Capra  espèrent que tout se passera bien. Ce ne sera pas le cas…  Des spectateurs quittent la salle, huent, insultent le cinéaste. Son crime était d’avoir dénoncé la corruption politique, mais également d’avoir dépeint un journaliste du Club en alcoolique ! Pour Capra : « On dressait la guillotine,  j’allais assister à ma propre exécution. »

Dans la peau de Smith
Capra se mettra littéralement dans la peau de son personnage afin de mieux l’écrire. Arrivé à Washington tel "un provincial à la capitale", le cinéaste fera le tour de la ville en bus comme un touriste, assistera à une conférence de presse de Roosevelt, visitera le Lincoln Memorial…

Deeds à Washington
À l’origine, le film devait s’appeler Deeds Goes to Washington, en écho à Deeds Goes to Town. Gary Cooper était ainsi donc pressenti pour le rôle.

Travail d’orfèvre
Capra tient absolument à ce que le décor du Sénat soit conforme à l’original. Le décorateur Lionel Banks travaillera à partir de nombreuses photographies, n’omettant aucun détail, et réalisant ainsi le souhait de perfection du cinéaste. Des décennies plus tard, en 2004, le Sénat acceptera le don du bureau de Monsieur Smith, réplique construite pour le film.

Pression
Joe Kennedy, père de JFK, alors ambassadeur à Londres, fit pression pour que le film ne soit pas exploité en Europe. Il trouvait en effet qu’il causerait du tort au prestige de l’Amérique.