À la sortie de Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, Pedro Almodóvar déclarait ne plus vouloir donner ses rôles principaux seulement aux femmes. Chose faite dans Matador avec Nacho Martínez et surtout Antonio Banderas, dont le cinéaste dira qu’il est l’acteur qui a le mieux communiqué sa vision des personnages masculins.
Matador est une histoire d’amour, une histoire “d’amour à mort”. Celle de Diego et María, tous deux unis dans une passion mêlant inextricablement désir et mort. Malgré son retrait de l’arène, Diego a le goût de tuer ancré en lui et assassine ses maîtresses de passage. L’avocate María, libre et forte, poignarde ses amants au moment de l’orgasme à l’aide d’une épingle à cheveux, telle l’épée du matador. Ses deux êtres unissent dans un même geste l’estocade et l’orgasme, la grande et la “petite mort”. Ils seront réunis par le biais d’Ángel, dans une histoire d’amour qui ne pourra les mener qu’à la mort.
Matador est sans doute le film le plus abstrait du cinéaste : malgré un sujet très concret, il est éloigné de tout réalisme. Le cinéaste confiera à Frédéric Strauss (Conversations avec Pedro Almodóvar, Cahiers du cinéma) : « J’ai essayé de faire de ce film une sorte de fable dont les personnages principaux étaient plutôt des héros qui ne trouvent leur place que dans une légende parce qu’ils représentent ce qu’on ne peut arriver à faire dans la vie. Il était impossible pour moi d’avoir la prétention que le spectateur s’identifie à de purs assassins. Ce que je voulais, c’est que le spectateur puisse s’identifier avec la sensibilité, la mentalité de ces assassins, avec l’idée de la mort qu’incarnent ces héros, pas avec leur réalité. » Mêlant sexualité exacerbée des personnages et sensualité animale de la tauromachie, Almodóvar livre un mélodrame flamboyant, dans une mise en scène rouge et or. Imprégné d’érotisme, de matriarcat, de foi religieuse, Matador est un concentré de passion latine et une superbe galerie de névroses.
« Il est des cinéastes qui naissent tout armés, Almodóvar n’était pas de ceux-là. Comparé aux œuvres de la maturité, Matador paraît parfois un peu gauche, parfois entraîné par le désir d’épater le bourgeois. […] Mais, en contrepartie de ces imperfections, Pedro Almodóvar offre son talent burlesque et ses inspirations fulgurantes. Plus le film avance, plus il se nourrit avec avidité des grands mélodrames américains en couleur, jusqu’à sa conclusion, sanglante, sur fond de couleurs nationales, sang et or. » (Thomas Sotinel, Le Monde, 25 juin 2005)
Tabou
Le film rencontrera un succès mitigé en Espagne, provoquant un certain malaise chez les spectateurs pour qui la tauromachie est un élément sacré de la culture ibérique. Pedro Almodóvar : « J’y parle du plaisir et de la sensualité de la tauromachie, ce qui est un sujet tabou ici. » (Conversations avec Pedro Almodóvar, Frédéric Strauss)
Le film dans le film
Tel un mauvais présage, c’est à la projection de Duel au soleil (Duel in the Sun, 1946) de King Vidor que Diego et María assistent.
Banderas / Almodóvar
Matador est la seconde collaboration de l’acteur andalou avec Pedro Almodóvar, après Le Labyrinthe des passions (Laberinto de pasiones, 1982). Ils se retrouveront pour La Loi du désir (La ley del deseo, 1987), Femmes au bord de la crise de nerfs (Mujeres al borde de un ataque de nervios, 1988), Attache-moi ! (Átame !, 1990), La piel que habito (2011) et Les Amants passagers (Los amantes pasajeros, 2013).
Matador
Espagne, 1986, 1h45, couleurs, format 1.85
Réalisation : Pedro Almodóvar
Scénario : Pedro Almodóvar, Jesús Ferrero
Photo : Ángel Luis Fernández
Musique : Bernardo Bonezzi
Montage : José Salcedo
Décors : Román Arango, José Moralès, Josep Rosell
Costumes : José María De Cossío
Production : Andrés Vicentes Gomez, Cia Iberoamericana de TV
Interprètes : Assumpta Serna (María Cardenal), Antonio Banderas (Ángel), Nacho Martínez (Diego Montes), Eva Cobo (Eva), Julieta Serrano (Berta), Chus Lampreave (Pilar), Carmen Maura (Julia), Eusebio Poncela (le commissaire), Eva Siva (l’assistante de María et Diego), Verónica Forqué (une journaliste), Pepa Merino (la secrétaire de Maria), Bibi Andersen (la marchande de fleurs), Jaime Chávarri (le prêtre), Agustín Almodóvar (un policier), Pedro Almodóvar (Francis Montesinos)
Sortie en Espagne : 7 mars 1986
Sortie en France : 27 avril 1988
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