Longfellow Deeds (Gary Cooper), jeune homme sans histoire, habite la petite ville de Mandrake Falls dans le Vermont, où il écrit des vers pour cartes de vœux et joue du tuba dans la fanfare. Il hérite subitement de 20 millions de dollars d’un oncle excentrique. Il part pour New York, inconscient de ce que cela représente. Là, il attire avocats retors, arnaqueurs en tous genres et journalistes en mal de sensation. Parmi ces derniers, la belle Babe Bennett (Jean Arthur) est mandatée par son rédacteur en chef pour pister le naïf héritier. Transformée en sténo-dactylo au chômage, Babe réussit à s’approcher de Deeds, et commence à conter les aventures de Deeds dans sa rubrique Cinderella Man…
Après le triomphe de New York-Miami, Frank Capra est frappé par une étrange maladie : fièvre, perte de poids, dépression… Il a le sentiment, après avoir reçu tant d’honneurs, d’être arrivé au bout, de ne plus savoir que faire. Aucun médecin ni aucun remède ne le soulagent. C’est une rencontre avec un inconnu, une sorte de marabout sorti de nulle part, qui bouscule Capra. Le cinéaste raconte cette scène, sans doute un peu fantasmée, dans son autobiographie Hollywood Story. Alors que la funeste voix d’Hitler sort de la radio proche, l’homme fulmine : « Monsieur Capra, vous êtes un lâche, et une offense à Dieu. Le talent dont vous êtes détenteur ne vous appartient pas. Dieu vous a fait don de ce talent pour que vous le mettiez à son service. Au revoir, monsieur. » Le cinéaste est revitalisé : à partir de maintenant, il veut que ses films disent quelque chose, il souhaite à chaque fois « fondre idéaux et divertissement dans un conte significatif ». Il se lance dans L’Extravagant Mr. Deeds, qui augure de la suite, plus engagée encore, avec Monsieur Smith au Sénat.
Longfellow Deeds, sorte de Don Quichotte des années 1930, est un candide jeté en pâture dans la frénésie de la ville. Face à l’agitation de New York, aux trahisons et aux aigrefins, il réagit avec bon sens, évitant de perdre son identité dans toute cette confusion. Une première partie du film, légère et enlevée, qui laisse place brusquement au ton plus grave de la tragédie : Deeds, trahi par celle qu’il aime, s’en retourne auprès des siens, et est pris à parti par un paysan ruiné par la Dépression. Cette violente irruption de la réalité sociale permet à Capra de mettre en pratique le vieil adage « l’argent ne fait pas le bonheur » : Deeds décide de donner sa fortune aux démunis, et poursuivant ses propres valeurs morales, passe pour un fou. L’intensité dramatique du procès annonce celle du discours de James Stewart dans Monsieur Smith au Sénat. Finalement, Capra transforme son adage, l’argent ne fait bien le bonheur que s’il est utilisé avec générosité.
Dans une mise en scène simple et naturelle, sans effet de démonstration, Frank Capra instaure un rythme soutenu pour la partie comédie du film, grâce à l’utilisation de volets et de fondus enchaînés rapides. Enfin, il démontre une fois encore qu’il est un grand directeur d’acteurs : Gary Cooper y est merveilleux de fraîcheur, d’humour et d’intégrité, et les premiers comme les seconds rôles sont criants de vérité et de naturel dans ce portrait de l’Amérique de 1936.
« Avec cette comédie, Capra saisit les rythmes contradictoires d’une Amérique écartelée entre l’urgence de la modernité et l’immobilité de la tradition. Face à la frénésie de l’information d’une société emportée dans une course folle se dresse cette Amérique figée dans le souvenir des Pères fondateurs et de la Bible. Capra est un défenseur fervent du “rêve américain”, aussi fragile soit-il. » (Damien Aubel, Transfuge, septembre 2010)
Première fois
Avec L’Extravagant Mr. Deeds, Frank Capra devient le premier cinéaste salarié (et non propriétaire de sa maison de production) qui voit son nom s’afficher en lettres lumineuses au-dessus de celui du film sur les frontons de cinéma : Frank Capra’s Mr. Deeds Goes to Town !!!
Un trac fou
Jean Arthur est une traqueuse. Elle est malade sur tout le tournage, vomissant avant et après chaque scène. À chaque fois qu’elle est appelée sur le plateau, elle erre et marmonne des excuses. « Mais, pour Frank Capra, si l’on poussait fermement, sans brusquerie, cette fille névrosée devant les caméras en criant "Lumières !", cette poupée geignarde se métamorphosait miraculeusement en une actrice chaleureuse, adorable, équilibrée et sûre d’elle. »
L’apparition de Jean Arthur
Pour Frank Capra, seul Gary Cooper peut interpréter Deeds. Mais il s’interroge longtemps sur l’actrice qui interprètera la jolie Babe, jeune femme à la répartie acerbe, durcie par la corruption qui l’entoure. C’est en entrant dans une salle de projection de la Columbia où étaient projetés les rushes d’un autre cinéaste qu’il découvre à l’écran une « merveilleuse jeune femme, simple, authentique, émouvante. Et quelle voix ! Une voix grave qui jaillissait parfois agréablement dans les octaves supérieures comme le tintement d’un millier de petites clochettes. » Jean Arthur devient grâce ce film une vedette, après des années « à traîner par là » selon l’expression d’Harry Cohn.
Un nouvel Oscar
Frank Capra reçoit un nouvel Oscar pour la mise en scène de L’Extravagant Mr. Deeds.
L’Extravagant Mr. Deeds (Mr. Deeds Goes to Town )
États-Unis, 1936, 1h55, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Frank Capra
Assistant réalisation : Charles C. Coleman
Scénario : Robert Riskin, d’après Opera Hat de Clarence Budington Kelland
Photo : Joseph Walker
Musique : Howard Jackson
Montage : Gene Havlick
Décors : Stephen Goosson
Costumes : Samuel Lange
Production : Frank Capra, Columbia Pictures
Interprètes : Gary Cooper (Longfellow Deeds), Jean Arthur (Babe Bennett), George Bancroft (Mac Wade), Lionel Stander (Cornelius Cobb), Douglass Dumbrille (John Cedar), Raymond Walburn (Walter), H. B. Warner (le juge), Ruth Donnelly (Mabel Dawson), Walter Catlett (Morrow), John Wray (le fermier), Margaret Matzenauer (Mme Pomponi), Margaret Seddon (Jane Faulkner), Margaret Mc Wade (Amy Faulkner), Charles Lane (Hallor)
Sortie aux États-Unis : 16 avril 1936
Sortie en France : 18 juin 1936
FILM RESTAURÉ
Sony Pictures Entertainment
Park Circus
Ressortie en salle début 2015, par Park Circus
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