Le tournage de L’Entraîneuse se déroula dans les studios de la UFA à Berlin en 1938. Les journaux de l’époque y font largement écho : Michèle Morgan endossant le rôle d’une entraîneuse dans un film d’Albert Valentin, ancien assistant de René Clair, voilà de quoi écrire des articles ! Mais entre le tournage et la sortie du film, il y eut les accords de Munich, et il n’est désormais guère patriotique de soutenir un film aux capitaux allemands. Le magazine Pour Vous qui avait quelques mois auparavant tant fait la publicité de L’Entraîneuse se retourne : « L’Entraîneuse est un des derniers films de langue française fabriqués dans les studios berlinois ; la firme qui l’a produit ayant été placée sous séquestre, la projection en a été autorisée. Ainsi la guerre ne nous aura pas épargné le spectacle déprimant de ces petites histoires filandreuses dont Monsieur Goebbels s’était fait une spécialité. » (24 janvier 1940)
Longtemps méprisé, L’Entraîneuse est pourtant un sobre mélodrame, dont le scénario et les dialogues sont signés du célèbre Charles Spaak, qui écrivit pour Renoir, Grémillon, Duvivier… À travers l’histoire d’une femme qui tente d’échapper à la malédiction de son milieu et rêve de trouver la paix, l’honnêteté et l’amour, Albert Valentin dresse le portrait au vitriol d’un milieu bourgeois et hypocrite. Comme le souligne Raymond Chirat (Écran, n° 44, février 1976), c’est un « ton nouveau et acerbe dans la production monotone », dans lequel Valentin se refuse à tout excès. Michèle Morgan y est élégante et mélancolique, mais aussi instinctive, sensible et humaine – et brune ! –. L’actrice refusera par la suite de parler de ce rôle qui apparemment, lui avait laissé de mauvais souvenirs.
C’est Günther Rittau, le chef opérateur de Metropolis (Fritz Lang, 1927) qui éclaira le film, de ses lumières très germaniques. Une esthétique unique se dégage de L’Entraîneuse, proche de l’ambiance du réalisme poétique, où la photo change au rythme de l’histoire, entre le décor irréaliste des vacances sur la Riviera et la fatalité de la boîte parisienne.
L'Entraîneuse marque le début d'une courte carrière de réalisateur (1938-1948). Si l'on peut oublier quelques titres, Valentin signa sous l'Occupation, deux des films les plus remarquables de la période, Marie-Martine (1943) et La Vie de plaisir (1944), qui, à eux seuls, suffisent à lui assurer une place dans l'histoire du cinéma français.
Titres
L’Entraîneuse fut d’abord baptisé Tabarin, puis La Dame de cœur, avant d’acquérir son titre définitif.
Valentin scénariste
Albert Valentin a réalisé une dizaine de films jusqu’à la fin des années 1940, avant de se consacrer exclusivement à son travail de scénariste. L'une de ses plus belles réussites date de 1943 : il s’agit de l’histoire du Ciel est à nous qu’il écrit pour Jean Grémillon, et qui sera tourné en partie à l’aérodrome de Lyon-Bron.
Fréhel
C’est la chanteuse réaliste Fréhel qui interprète la chanson Sans lendemain, écrite par Michel Vaucaire, sur une musique de Georges Van Parys.
« Sans lendemain, sans rien qui dure / Un homme passe et puis s’en va / Sans lendemain mes aventures / Depuis toujours s’arrêtent là. » Une chanson mélancolique pour un émouvant mélodrame.
Double interdiction
La Vie de plaisir, que Valentin réalise en 1944, a une rare particularité, celle d'avoir été interdit à quelques mois d'intervalle, par les Allemands pendant l'Occupation, par les Français après la Libération. Signe de l'amplitude du "mauvais esprit" de cet ancien membre du groupe surréaliste.
L’Entraîneuse
France, Allemagne, 1939, 1h35, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Albert Valentin
Assistant réalisation : Louis Daquin
Scénario : Charles Spaak
Photo : Günther Rittau
Musique : Georges Van Parys
Décors : Ernst H. Albrecht, Herbert Nitzschke
Production : Raoul Ploquin, Les Films Raoul Ploquin, Alliance Cinématographique Européenne, Universum Film (UFA) | Interprètes : Michèle Morgan (Suzy), Gilbert Gil (Pierre), Andrex (Marcel), Gisèle Préville (Lucienne), Arthur Devère (Raymond, le domestique), Georges Lannes (Philippe de Lormel), Catherine Fonteney (Mme de Saint-Leu), Jeanne Lion (Tante Louise), René Bergeron (l'inspecteur Barnave), René Génin (Bellemain, le vieux professeur), François Périer (Jean), Jimmy Gaillard (André), Monique Joyce (Florence), Robert Seller (Loiseau), Solange Dartois (Fanny), Robert Ozanne (Victor), Fréhel (dans son propre rôle)
Sortie en Allemagne : 2 juin 1939
Sortie en France : 11 janvier 1940
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