Dernier film totalement indépendant de Frank Capra (après celui-ci, il sera contraint de vendre Liberty Films), L’Enjeu est bien l’héritier de Monsieur Smith au Sénat et de L’Homme de la rue. Machination politique, soif de pouvoir des industriels et des magnats de la presse… Fidèle à lui-même, Capra dénonce les politiques retors et les groupes d’intérêt qui écrasent l’individu. Dans un pays qui évolue à une vitesse vertigineuse (guerre froide, surconsommation, rapports sociaux cyniques…), il pousse un cri d’alarme. Mais L’Enjeu est aussi bien différent des deux autres films, et surtout bien plus dur. À la différence de Jefferson Smith et de John Doe, Grant Matthews n’est pas un naïf innocent : c’est un homme normal, typiquement américain, self made man, séparé de son épouse, avec un penchant pour l’adultère. Il ne craint pas les concessions quand il succombe aux sirènes du pouvoir. À ses côtés (puis face à lui), une cohorte de cyniques manipulateurs, qui ne failliront jamais (contrairement à Ann Mitchell). Le sentimentalisme ne touchera pas les protagonistes de L’Enjeu. Grant Matthews confie qu’un homme heureux est quelqu’un qui a une cause à défendre et qui est prêt à mourir pour elle. Or lui n’en a pas et c’est bien la première fois que cela arrive dans un film de Capra.
L’Enjeu est le chant du cygne de l’œuvre de Capra. Après avoir vendu sa société, il devient salarié de la Paramount. Il devra se plier aux règles des studios et de ses acteurs stars. Il perd peu à peu ses collaborateurs fidèles, sa famille de cinéma. Définitivement liées à l’Amérique de la crise et du New Deal, ses idées et ses thématiques apparaissent de plus en plus lointaines pour une Amérique qui sort de la guerre complètement transformée. L’Enjeu sera donc timidement reçu par le public. Il n’en reste pas moins qu’à la lumière de l’Histoire, il était clairement très en avance sur son temps. « State of the Union est un film très prosaïque, très terre-à-terre. Ce sont ses limites, mais c’est aussi sa force. Capra l’utopique nous dévoile une dernière fois que, s’il est généreux, il n’est pas aveugle. Le réalisme du film est maintenant le plus sûr garant de son impact. » (Christian Viviani, Frank Capra, L’Herminier)
Au pied levé
Après une brouille avec Claudette Colbert (qui ne souhaitait pas travailler après 17 h !), prévue pour le rôle de Mary Matthews, c’est Katharine Hepburn qui remplace l’actrice à deux jours du tournage. Prévenu du désistement, Spencer Tracy conseille à Capra d’embaucher Katherine Hepburn, sa compagne qu’il surnomme « sac d’os ». Capra tombera sous le charme : « Il y a des femmes et il y a des femmes – et puis il y a Katie. Il y a des actrices et des actrices – et il y a Hepburn. » (Frank Capra, Hollywood Story, Stock)
The State of the Union
Il s’agit là du discours que le président fait en janvier devant le Congrès, bilan des douze mois écoulés. Pour Capra, il s’agit aussi de l’état du pays et de ses politiciens, ainsi que du couple formé par Spencer Tracy et Katharine Hepburn.
Tournage sous tension
Adolphe Menjou est un fervent sympathisant d’extrême droite, Katharine Hepburn une libérale convaincue… En pleine politique anticommuniste des États-Unis, Menjou s’en amuse et marmonne même parfois : « Chatouillez des âmes charitables comme Hepburn et vous les entendrez crier Pravda ! » Afin d’éviter toute étincelle, Frank Capra décide de déclarer le plateau de L’Enjeu « zone interdite aux visiteurs et aux reporters. » (Frank Capra, Hollywood Story)
Incroyable première !
Lors de la première de L’Enjeu, le président Truman est invité. Capra se décompose à cette annonce : « Vous êtes cinglé ! Le film est truffé de plaisanteries sur Truman… » Vilipendé lors de la première de Monsieur Smith au Sénat, le réalisateur craint le pire et demande à son épouse Lu de prendre le moins de bagages possible lors de leur départ pour Washington, persuadé qu’ils devront « filer vers la frontière » ! Pour son plus grand soulagement, la classe politique et le président lui-même apprécieront le film. (Frank Capra, Hollywood Story)
L’Enjeu (State of the Union )
États-Unis, 1948, 2h04, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Frank Capra
Scénario : Anthony Veiller, Myles Connolly, d’après la pièce State of the Union de Howard Lindsay et Russel Crouse
Photo : George J. Folsey
Musique : Victor Young
Montage : William Hornbeck
Décors : Cedric Gibbons, Urie McCleary, Emile Kuri
Costumes : Irene
Production : Frank Capra, Liberty Films
Interprètes : Spencer Tracy (Grant Matthews), Katharine Hepburn (Mary Matthews), Angela Lansbury (Kay Thorndyke), Van Johnson (Spike McManus), Adolphe Menjou (Jim Conover), Lewis Stone (Sam Thorndyke), Howard Smith (Sam Parrish), Maidel Turner (Lulubelle Alexander), Raymond Walburn (le juge Alexander), Charles Dingle (Bill Hardy), Florence Auer (Grace Orval Draper), Pierre Watkin (le sénateur Lauterback), Margaret Hamilton (Norah), Irving Bacon (Buck), Patti Brady (Joyce), George Nokes (Grant Jr.), Charles Lane (Blink Moran)
Sortie aux États-Unis : 30 avril 1948
Sortie en France : 4 mai 1949
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