Le Vieux fusil

Citant Fellini, Philippe Noiret dit un jour que la moitié d’un film était faite quand le réalisateur ne se trompait pas sur le choix des comédiens. Lorsqu’on connaît les acteurs qui travaillèrent avec Robert Enrico (Ventura, Delon, Deneuve, Bardot, Serrault, Bourvil, Belmondo, Reggiani, Fossey, entre autres) et qu’on sait l’importance qu’il accorda au choix des deux acteurs principaux du Vieux Fusil, on est tenté de croire qu’il aurait souscrit à l’adage du cinéaste italien. D’autant plus que le réalisateur français fut souvent associé à Claude Sautet, autre cinéaste connu pour la place qu’il accordait à ses acteurs, et dont les conseils furent sollicités pour l’écriture du scénario du film.

« C’est un cinéaste sauvage, têtu, sincère, puissant, français, français… » avait dit Truffaut de Sautet. Il aurait pu le dire d’Enrico, dont il avait admiré La Belle Vie (1963). Robert Enrico déploie avec Le Vieux Fusil  une histoire brutale, l’un des rares films de justice expéditive français, sorti peu après la référence américaine du genre, Un justicier dans la ville (Death Wish, Michael Winner, 1974). Le Vieux Fusil raconte la métamorphose d’un homme, autant mû par un instinct animal que par un besoin de compréhension et de guérison de sa propre douleur. Enrico le décrivait comme « un film d’amour dénonçant la guerre à travers le parcours d’un humaniste qui va se transformer en vengeur implacable ».
La sauvagerie et l’émotion y naissent d’un rapprochement des extrêmes qui, se mélangeant, finiront par donner naissance au sentiment vague, évanescent et amer qu’on imagine être celui de l’abrutissement qui suit le déchaînement de la violence. Reste l’indicible nostalgie portée par les traits de Romy Schneider, incarnant à merveille la beauté inaltérable des souvenirs dont les heures même les plus sombres d’une vie ne parviennent à ternir l’éclat. C’est pourtant une autre prestation magnifique qui lui vaudra, en 1976, le César de la meilleure actrice pour L’Important c’est d’aimer (Andrzej Zulawski, 1975), lors de la première cérémonie en 1976. Le Vieux Fusil  repartira avec trois récompenses : les César du meilleur film, meilleur acteur et de la meilleure musique originale.

Sautet, docteur scénario
« Pierre Caro, notre producteur, veut profiter de l’amitié que nous porte à tous Sautet pour lui demander une consultation. Dans le métier, on l’a surnommé "le docteur scénario". Après avoir lu le nôtre, il nous convoque chez Pascal Jardin, s’échauffe, s’énerve tout seul, et nous engueule presque. "Comment voulez-vous qu’on soit ému à la mort de Clara au début du film, si nous n’en savons pas davantage sur ses rapports avec le docteur Dandieu et sa famille ? C’est là qu’il faut enrichir les relations entre personnages et inventer des scènes d’intimité familiale." » (Robert Enrico, Au cœur de ma vie)

Enrico - Noiret
Le Vieux Fusil est la seconde collaboration entre Robert Enrico et Philippe Noiret, après Le Secret (1974), avec Marlène Jobert et Jean-Louis Trintignant. Le duo se retrouvera une dernière fois en 1980 à l’occasion de Pile ou face, un polar dans lequel joue également Michel Serrault.

Un dîner mouvementé
Dans son autobiographie, Robert Enrico raconte la première rencontre entre Philippe Noiret et Romy Schneider, lors d’un dîner organisé chez lui : « À 20h30, tout le monde est là, sauf Romy… Le téléphone sonne à 21h30. C’est Romy qui s’excuse. Elle a accepté de faire quelques boucles de synchro de son dernier film et a pratiquement fini. […] Il est près de 23h quand Romy, confuse, sonne à la porte, accueillie de façon tonitruante par un Noiret qui se veut drôle, mais vachard. « Alors, l’Autrichienne, on commençait à se languir de vous ! Pardonnez-moi, mais je dois partir. » Après son départ, Romy Schneider, restée chez Enrico, éclate : « C’est un goujat, ce gros-là ! Je ne vais pas pouvoir travailler avec lui ! » (Robert Enrico, Au cœur de ma vie, éd. Christian Pirot)