Dernier film de la collaboration, avant leur séparation, entre Roberto Rossellini, maître du cinéma italien, et sa muse et épouse, Ingrid Bergman, La Peur s’inscrit dans une trilogie des couples désunis (avec Europe 51 - Europa ‘51, 1952 - et Voyage en Italie - Viaggio in Italia, 1954). La Peur est un film rare où le cinéaste dépeint avec une grande justesse des caractères aux prises avec un drame intime.
Irene, épouse adultère, est sous la coupe d’une maître-chanteuse, qui, en échange du secret sur sa liaison, lui extorque de plus en plus d’argent. Ce chantage odieux, qui pousse Irene à bout, est en fait une machination de son époux. Albert sait que sa femme le trompe mais la fait harceler pour qu’elle avoue. Rossellini confiera à plusieurs reprises avoir voulu faire un film sur « l’importance de l’aveu et de la confession ». Mais ce mari, en manipulant son épouse comme l’un de ses cobayes, souhaite-t-il la “soulager” en la forçant à l’aveu ? L’acculer à un dialogue impossible ? Obtenir la certitude qu’elle l’aime toujours ? Ou se venger à petit feu ?… L’interprétation du comportement d’Albert reste dans le camp du spectateur. Aux prises avec sa condition morale, l’homme s’érige ici en juge et non plus en époux. Jeu dangereux.
Découvrant la vérité, Irene n’a plus de raison d’avoir peur, mais plus de raison non plus de vivre : elle ne croit plus en son époux. La scène de réconciliation arrive ainsi aux limites de la mort, dans un dénouement que le réalisateur voulait « frappant et brutal » (Arts, 1954). Avec une lucidité cruelle, Rossellini dissèque un couple dans l’impossibilité de communiquer.
Fidèle à son esthétique, le cinéaste réalise un film intimiste, sobre, privilégiant les comportements et les gestes à une narration trop bavarde. Il réussit à installer une angoisse, un suspense oppressant, presque hitchcockien. L’alternance entre les lumières apaisantes des moments familiaux à la campagne et celles, crues et agressives, des scènes urbaines installe ce sentiment de mal-être. La caméra suit chacun des pas et des gestes d’Irene, traquant son désarroi et sa nervosité, dans un voyeurisme à la limite du sadisme.
« La Peur de Rossellini, c’est une sorte d’essai sur la cruauté ; l’on y voit se détruire – et de quelle façon implacable – le couple de Voyage en Italie. Des profondeurs du cœur et de l’âme de ses personnages, Rossellini fait surgir des monstres. La Peur est un film qui fait mal, un peu comme le rasoir dans l’œil du Chien andalou. » (Jacques Siclier, Cahiers du cinéma, n° 52, novembre 1955)
De multiples versions
Dans Les Aventures de Roberto Rossellini (éd. Léo Scheer), Tag Gallagher met à plat toutes les versions du film. La Peur a été tourné simultanément en anglais et en allemand. C’est la version anglaise qui fut utilisée pour le doublage italien, La paura, et la distribution française. Une troisième version, non autorisée par Rossellini, sortira en 1958 sous le titre Non credo più all’amore. D’une durée de 75 minutes, cette version rajoute une voix off, coupe des scènes et modifie la fin du film : Irene quitte son mari et s’installe à la campagne.
De retour
En tournant à Munich, Roberto Rossellini permet le retour d’Ingrid Bergman dans le cinéma allemand, où elle n’avait plus été aperçue depuis 1938.
Variations
François Truffaut, grand admirateur de l’œuvre de Rossellini, dans les Cahiers du cinéma (mars 1955) : « La Peur ne prend pas pour objet qu’un sentiment. Le scénario est une suite de variations sur ce sentiment. »
La Peur (Fear)
Italie, République fédérale d’Allemagne, 1954, 1h23, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Roberto Rossellini
Scénario : Sergio Amidei, Franz Treuberg, Roberto Rossellini, d’après la nouvelle La Peur (Die Angst) de Stefan Zweig
Photo : Carlo Carlini, Heinz Schnackertz
Musique : Renzo Rossellini
Montage : Jolanda Benvenuti (pour la version italienne), Walter Boos (pour la version allemande)
Décors : Emile Kury
Costumes : Jacques Griffe
Production : Herman Millakowsky, Aniene Film, Ariston Film
Interprètes : Ingrid Bergman (Irene Wagner), Mathias Wieman (le professeur Albert Wagner), Renate Mannhardt (Johann Schultze / Luisa Vidor), Kurt Kreuger (l’amant, Heinz Baumann), Elise Aulinger (la gouvernante), Elisabeth Wischert (Mady), Gabriele Seitz (Bubi), Klaus Kinski (l’artiste de cabaret), Edith Schultze-Westrum, Steffi Stroux, Annelore Wied
Sortie en République fédérale d’Allemagne : 5 novembre 1954
Sortie en Italie : 18 février 1955
Sortie en France : 4 juillet 1956
FILM RESTAURÉ
Cineteca di Bologna - CSC - Cineteca Nazionale - Istituto Luce Cinecittà - Coproduction Office
Restauré dans le cadre de The Rossellini Project. Copie restaurée par la Cineteca di Bologna, CSC - Cineteca Nazionale, en collaboration avec l'Istituto Luce Cinecittà et Coproduction Office, et réalisée au laboratoire L'Immagine Ritrovata
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