Le récit de la trajectoire d’un couple d’artistes, Manolo (Manolo Caracol) et Lola (Lola Flores). Tandis que Manolo découvre le potentiel de Lola, images poétiques et travail se télescopent. Embrujo ou "l’ensorcellement" : quand la danse attire la voix, et inversement.
Longtemps retardés à cause de la guerre civile, les débuts de Carlos Serrano de Osma dans la réalisation portent le sceau du déchaînement d’une énergie trop longtemps contenue : Embrujo naît dans une période d’intense créativité pour le cinéaste, qui, en moins d’un an (de mai 1946 à mai 1947), tourne dans les studios de Barcelone trois films, dont La sirena negra (1947), considéré comme son chef-d’œuvre. L’idée d’Embrujo surgit d’ailleurs pendant le tournage de son premier film, Abel Sánchez : Historia de una pasión (1947), et dénote un cinéaste sûr de ses goûts et de ses décisions.
Film expérimental sur le flamenco, dont il veut présenter le chant et la danse comme les deux faces d’une même pièce de monnaie, réunissant le couple artistique le plus célèbre du moment (Lola Flores, “la Pharaonne”, dont on disait qu’elle est « presque une religion », et Manolo Caracol), Embrujo est marqué par les influences, longtemps muries, de Serrano de Osma. Le surréalisme, d’un côté, et une esthétique qui le rapproche d’Orson Welles, pour sa démesure, sa mise en scène baroque, ses contrastes lumineux ou les mouvements de caméra virtuoses, de l’autre. Le film, à l’époque, détone, dans un cinéma espagnol progressivement gagné au réalisme. Malgré un relatif succès en salles, il faudra attendre le Festival de cinéma de Séville en 1982 pour que le film soit primé et reconnu à sa juste valeur.
Car le véritable tour de force d’Embrujo, españolada dans laquelle Serrano de Osma entendait « atteindre aux ténèbres de l’inconscient par les routes brillantes du folklore » (Cinema, octobre 1946), ne réside pas seulement en son expérimentation formelle et l’adéquation, jusque-là inédite, entre le rythme cinématographique et le rythme du chant. Le film tire sa singularité d’avoir initié un jeu de vases communicants, qui voulait que le traitement expérimental d’un sujet populaire soit l’occasion, en sens inverse, de faire d’un film expérimental une œuvre rentable et commerciale, en mesure d’être produite et distribuée au sein du circuit traditionnel.
Carlos Serrano de Osma, en libre-penseur, réussit son pari et poursuivit sa route, essaimant sur son trajet moins d’une dizaine de longs métrages. Après un dernier film réalisé en 1960, La rosa roja, il quitte le monde du cinéma comme il y était venu, soudainement, une fois la formidable énergie créatrice à l’origine de ses films consommée tout entière.
Españolada
Une españolada est un terme à connotation dépréciative désignant une œuvre artistique exagérant ou falsifiant le caractère espagnol, stéréotype né d’une réduction de la réalité hispanique et notamment andalouse. En un mouvement paradoxal, Carlos Serrano de Osma entendait « atteindre aux ténèbres de l’inconscient » précisément à travers l’image superficielle et exagérée de la tradition de son pays.
« Sans queue ni tête »
Le public ne fut pas le seul, à la sortie, à être désorienté par le film de Serrano de Osma. Lola Flores elle-même déclara qu’Embrujo était un film « sans queue ni tête », estimant que son réalisateur était probablement fou.
Cuite mémorable
Manolo Caracol était connu pour être sévillan jusqu’au bout des doigts. À tel point que lorsque le Sevilla F.C., l’un des deux clubs de football de la ville, remporta le championnat espagnol de 1946, il se soûla si fort qu’il dut être hospitalisé pendant plusieurs jours, durant lesquels les membres de l’équipe victorieuse vinrent lui rendre visite.
Embrujo
Espagne, 1948, 1h11, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Carlos Serrano de Osma
Scénario : Pedro Lazaga, Carlos Serrano de Osma
Photo : Salvador Torres Garriga
Musique : Jesús García Leoz
Montage : Antonio Graciani
Décors : José González de Ubieta
Costumes : José González de Ubieta, Encarnación Gutiérrez
Production : Fernando Butragueño, Producciones Boga
Interprètes : Lola Flores (Lola), Manolo Caracol (Manolo), Fernando Fernán (Gómez Mentor), María Dolores (Pradera Tita), Camino Garrigó (Taranta), Joaquín Soler Serrano (Roberto), Fernando Sancho (Monsieur Benson), Antonio Bofarull (Don Antonio), Jesús Puche (Johnson), Julia Molina (Eugenia), Charo Montemar (la jeune fille), Vila (la violoniste)
Sortie en Espagne : 29 avril 1948
FILM RESTAURÉ
Restauré par la Filmoteca Española à partir des matériaux les mieux conservés. Nouveau montage réalisé par le réalisateur Carlos Serrano de Osma.
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