Après plusieurs films sur de jeunes femmes blessées, Bigamie se consacre à un traumatisme masculin. Toutefois, à travers le portrait d’Harry Graham, il s’agit aussi de l’histoire de ses deux épouses, Eve et Phyllis : un film de femmes et l’histoire d’un homme. Harry est un “type normal” coincé dans une situation peu banale. Installé à San Francisco et marié depuis des années à Eve, une femme d’affaire ambitieuse et indépendante, Harry voit celle-ci peu à peu délaisser leur vie conjugale et son espoir d’être père anéanti. Commercial, il est souvent sur la route, et c’est à Los Angeles qu’il rencontre une serveuse, Phyllis. Elle tombe rapidement enceinte. Il l’épouse. Aucune des deux femmes n’a connaissance de l’existence de l’autre. Peu épanoui à San Francisco, Harry se reconstitue une seconde vie, aussi peu satisfaisante, à Los Angeles. La fuite en avant commence, Harry est pris au piège dans ce dilemme crucial.
Dans ce film construit sur la confession d’Harry, Ida Lupino dresse le portrait d’un Monsieur Tout-le-monde. Harry n’est pas un séducteur, mais un homme banal à la recherche d’une situation d’équilibre. Ses deux épouses sont d’ailleurs complémentaires : l’une brune, élégante, assurant la stabilité et la réussite professionnelle, et l’autre, blonde, plus simple, apportant l’affection et la chaleur de la vie de famille. Toutes deux sont également fortes et dignes face à une situation dramatique, et toujours amoureuses de leur époux. Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon soulignent d’ailleurs ce « contrepied d’un tabou moral qui aurait voulu que l’une d’elles soit intéressée ou antipathique. » (50 ans de cinéma américain, Omnibus). Ida Lupino, sans aucun moralisme, traite d’un sujet polémique et réussit le tour de force de faire d’Harry un anti-héros marié deux fois presque malgré lui, qui attire la sympathie de tous, protagonistes comme spectateurs. Une personnalité résumée par son avocat : « Ni un héros, ni un monstre. »
« Ida Lupino n’a pas accablé cet homme, imprudent et faible, sous un féminisme agressif. Ses trois personnages se heurtent, en fait, aux accidents de la vie et le désir de maternité chez la femme prend un peu l’aspect d’un destin social. L’étude de comportement ne va pas sans une délicate étude de sentiments, de rapports de sexes, qui donne une subtile résonance à une intrigue portée également à l’état de crise. » (Jacques Siclier, Cahiers de la cinémathèque, n°28, automne 1979)
Réalisatrice et actrice
Pour Bigamie, Ida Lupino est à la fois réalisatrice et actrice à la demande de Joan Fontaine. L’actrice souhaitait voir Ida Lupino réaliser le film, mais également interpréter le rôle de l’autre femme, car un nom supplémentaire à l’affiche donnerait « plus de poids commercial au film ».
Modestie
Dans son entretien avec Patrick McGilligan pour le livre Film Crazy, Interviews with Hollywood Legends (éd. St. Martin’s-Griffi), Ida Lupino confie que Bigamie est un de ses films préférés : « Je crois que je me suis assez bien débrouillée. »
Clin d’œil
Lors de la visite en bus des maisons de stars de Beverly Hills, le guide présente la maison de James Stewart. Et c’est réellement la maison qu’il habitait sur Roxbury Drive !
Promotion
Lors du tournage des films Filmakers, l’habitude est prise d’assurer soi-même la publicité du film. Ainsi des reportages sont réalisés lors du tournage des scènes en décor naturel. De plus, les badauds sont aussi mis à contribution, en faisant par exemple la sécurité sur le plateau.
Bigamie (Bigamist )
États-Unis, 1953, 1h23, noir et blanc, format 1.37
Réalisation : Ida Lupino
Scénario : Collier Young, d’après une histoire de Lawrence B. Marcus et Lou Schor
Photo : George E. Diskant
Musique : Leith Stevens
Montage : Stanford Tischler
Décors : James W. Sullivan, Edward G. Boyle
Production : Collier Young, The Filmakers
Interprètes : Ida Lupino (Phyllis Martin), Edmond O’Brien (Harry Graham), Joan Fontaine (Eve Graham), Edmund Gwenn (M. Jordan), Kenneth Tobey (Tom Morgan, l’avocat), Jane Darwell (Mme Connelley), Peggy Maley (l’opératrice téléphonique), John Maxwell (le juge), Lillian Fontaine (Mademoiselle Higgins, la propriétaire), Matt Dennis (le chanteur), Mack Williams (l’avocat du ministère public), James Todd (Carl Forbes), John Brown (le docteur Wallace), George Lee (Sam, le serveur), Jerry Hausner (Roy Esterly)
Sortie aux États-Unis : 3 décembre 1953
Ce site nécessite l'utilisation d'un navigateur internet plus récent. Merci de mettre à jour votre navigateur Internet Explorer vers une version plus récente ou de télécharger Mozilla Firefox. :
http://www.mozilla.org/fr/firefox