« Berlin, la plus intéressante de toutes les villes parce qu’elle est la plus jeune des métropoles du monde, parce qu’elle est la ville encore en devenir qui n’étouffe pas déjà derrière ses façades, écrasée par sa propre monumentalité, Berlin, la ville de tous les désirs est le cœur, le thème et l’unique acteur de mon travail symphonique. Lorsqu’un jour je me fus décidé à faire de la “grande ville” le sujet d’un film, seul Berlin entra en ligne de compte car pour le cinéma considéré comme “art du mouvement”, le jeune Berlin riche de possibilités infinies était l’objet le plus photogénique. Lors des prises de vues, cette moderne hydre de pierre se montra plus capricieuse qu’une diva humaine. Le travail dura plus d’un an, jusqu’à ce que la diversité de Berlin fût fixée cinématographiquement au moyen de milliers de petites et de minuscules prises de vues. Je dus guetter en permanence avec ma caméra de détective, sans atelier, sans bâtiments fixes, dans des conditions qui rendaient ma tâche plus difficile encore, je dus pénétrer dans la vie de la grande ville, tout filmer subrepticement car aucun des objets ne devait s’en apercevoir et, se sachant “filmé”, commencer à “jouer”. » (Walther Ruttmann, B. Z., 20 septembre 1927)
Voilà comment Ruttman décrivait le seul et unique personnage de son documentaire, Berlin, capitale alors en plein essor. Berlin, symphonie d’une grande ville fut conçu par le scénariste Carl Meyer comme une réponse à l’aspect artificiel des décors de studio : la vraie lumière, les vraies boutiques, la vraie rue, les vraies teintes de la ville… L’idée sera développée par Ruttmann, alors réalisateur de courts métrages expérimentaux et abstraits, et Karl Freund, chef opérateur inventeur de l’Entfesselte Kamera, la “caméra déchaînée”, montée sur harnais pour favoriser les déplacements fluides. Plans en mouvement, virtuosité du rythme, refus de toute mise en scène des protagonistes, trucages optiques, absence d’intertitres : Berlin, symphonie d’une grande ville est une œuvre d’art total, purement visuelle, à la beauté saisissante. Affilié au mouvement de la Nouvelle Objectivité, le film de Ruttmann est un poème, mais également un document précieux sur une époque disparue.
« La ville y apparaît comme un corps gigantesque composé de la multitude de ses habitants (entre 1910 et 1925, Berlin double sa population), un corps qui se réveille, se nourrit, digère, se distrait, remplissant sans état d’âme sa fonction quotidienne. » (Philippe-Alain Michaud, Positif, n° 637, mars 2014)
Nocturne
Afin de rendre toute leur beauté aux scènes nocturnes, des pellicules plus sensibles furent utilisées. En résultent des scènes singulières entre chien et loup.
La musique d’Edmund Meisel
Considéré par beaucoup comme l’un des premiers véritables compositeurs de musique de film, Edmund Meisel a conçu celle de Berlin, symphonie d’une grande ville en harmonie parfaite avec l’image. Rumeurs de la ville, agitation, rythme des machines, le moindre bruit de la métropole trouve écho dans la composition originale de Meisel.
Parcours
Walther Ruttman étudia l’architecture, la peinture et le graphisme. Il fut lieutenant dans l’armée allemande pendant la Première Guerre mondiale. Ami de Paul Klee, collaborateur de Fritz Lang et d’Abel Gance, il réalisa plusieurs films abstraits. Il se consacra également au montage et aux effets spéciaux. Pourtant pacifiste de gauche, il sera gagné par l’idéologie nazie et deviendra conseiller de Leni Riefenstahl pour Les Dieux du stade (Olympia, 1938). Il meurt en 1941, sur le front russe, en tournant Victoire à l’Est.
Berlin, symphonie d’une grande ville (Berlin: Die Sinfonie der Großstadt )
Allemagne, 1927, 1h05, noir et blanc, format 1.33
Réalisation : Walther Ruttmann
Scénario : Walther Ruttmann, Karl Freund, d’après une idée de Carl Mayer
Photo : Robert Baberske, Reimar Kuntze, László Schäffer, Karl Freund
Musique : Edmund Meisel
Montage : Walther Ruttmann
Production : Karl Freund, Deutsche Vereins-Film, Les Productions Fox Europa
Sortie en Allemagne : 23 septembre 1927
FILM RESTAURÉ
Europe's Finest
CINÉ-CONCERT
Projection à l’Institut Lumière avec accompagnement musical au piano par Nicolaï Della Guerra.
En partenariat avec le Conservatoire à rayonnement régional de Lyon.
Ce site nécessite l'utilisation d'un navigateur internet plus récent. Merci de mettre à jour votre navigateur Internet Explorer vers une version plus récente ou de télécharger Mozilla Firefox. :
http://www.mozilla.org/fr/firefox