Furtivos

Sorti deux mois à peine avant la mort de Franco, alors que la dictature agonise, Furtivos devient un symbole politique et un exemple de résistance face au régime. José Luis Borau obtient la sortie du film (bloqué par les autorités pendant six mois) sans s’être soumis aux coupes exigées par le pouvoir. Furtivos constitue une attaque furibonde contre l’Espagne franquiste : la forêt, lieu de toutes les chasses et de tous les meurtres, est un détournement ironique des paroles de Franco, qui disait l’Espagne « pareille à une forêt en paix ». La puissance de Furtivos réside également dans son ironie grinçante et sa manière de tourner déjà le dos au régime, comme si le film anticipait la fin du franquisme.

Borau fait du gouverneur, symbole du pouvoir incontesté de l’hiérarque, la figure centrale qui met en mouvement la société, dépeinte comme une vaste chasse gardée pour furtivos, ces êtres condamnés à l’hypocrisie et la dissimulation perpétuelles par l’omniprésence d’un maître. Mais c’est bien une femme, despotique et dévorante, que le cinéaste place dans le bois, métaphore de l’Espagne paternaliste du Caudillo. Celle-ci déteste celui dont elle fut la nourrice, mais qu’importe, car l’essentiel de l’intrigue est ailleurs : dans un geste incantatoire, Borau voit plus loin, refuse de borner le travail de l’artiste à la seule critique d’un régime. À travers le personnage de Martina, la forêt cesse de n’être que le lieu métaphorique de l’Espagne franquiste pour se faire Mère Nature, romantique et gothique, impatiente de mener ses enfants au tombeau où elle pourra les étreindre plus sûrement. Des traits de Lola Gaos, figure connue pour son engagement contre le régime (elle a notamment fait campagne avec l’extrême gauche) et pour qui Borau a écrit le film, aux ondulations de sa voix rauque, c’est toute l’âme de l’Espagne qui est convoquée. Servi par une mise en scène dépouillée à l’extrême, et par le magnifique travail de Luis Cuadrado (directeur de la photo d’Erice et de Saura), l’esprit de Martina règne sans partage sur ces terres désolées où s’entremêlent les motifs funèbres de la chasse, de la traque et de la mort.

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S’il est vrai que Borau a obtenu la sortie de Furtivos en refusant de se soumettre aux coupes exigées par le pouvoir, il dut cependant se résoudre à abandonner un plan de trois secondes représentant la façade du gouvernement civil de Ségovie. La phrase prononcée par le gouverneur arrivant sur le terrain de chasse « Quelle paix on respire dans ce bois ! », qui dérangeait particulièrement les autorités, fut gardée, et la publicité du film fut accompagnée d’une phrase prometteuse : « Qu’est-ce qui pourrit derrière le silence d’une forêt en paix ? »

Lola Gaos
C’est en visionnant deux films de Buñuel, Viridiana (1961) et Tristana (1970) que José Luis Borau fut frappé par le talent de Lola Gaos, au point d’écrire le film pour elle. « Au départ, nous sommes partis de deux éléments, la forêt et Lola Gaos. Je voulais faire un film avec cette grande actrice découverte par Luis Buñuel ». Son rôle dans Furtivos fait écho à son personnage de Tristana, Saturna, dont le nom évoque le célèbre tableau de Goya, Saturne dévorant ses enfants.

Récompenses
Le film reçoit la Coquille d’or, la plus haute distinction du Festival du Film de San Sebastian 1975, ainsi que le titre de meilleur film de langue espagnole. Il reçoit ensuite le prix du meilleur film au Festival du Film de Carthagène en 1976, ainsi que de nombreuses récompenses et nominations en Espagne et à l’étranger.