Conversation avec Pedro Almodóvar

 


Posté le  18.10.2014 à 17h10


 

Un public très enthousiaste a pu assister vendredi, quelques heures avant la remise du Prix Lumière, à une rencontre exceptionnelle avec Pedro Almodóvar, au théâtre des Célestins.

 

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Copyright Institut Lumière / Photo Bastien Sungauer

 

Marisa Paredes, Elena Anaya et Rossy de Palma, trois actrices phares du réalisateur espagnol, Augustin Almodóvar, son frère, ainsi que Chema Prado (dont les photographies sont actuellement exposées rue de l’Arbre Sec) étaient dans la salle pour le soutenir. Pendant plus d’une heure, Pedro Almodovar a répondu aux questions de Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux, faisant preuve d’un humour et d’une modestie exemplaires. Extraits.



Sur son rapport aux autres arts :
« J’ai touché à toutes les disciplines artistiques en amateur. Enfant, je voulais être peintre, j’ai écrit toute ma vie, j’ai voulu construire des maisons, j’ai chanté du punk. Toutes ces frustrations m’ont encouragées à être metteur en scène car un metteur en scène utilise tous les domaines artistiques. »


Sur La Movida :
« C’était, en 1977, le début d’une nouvelle Espagne, à l’opposé de celle qu’on avait connue, une véritable explosion de libertés. À l’époque, j’étais jeune et cela m’a permis de vivre des tas de choses qui ont, par la suite, nourri mon travail. La Movida nous a permis de sentir le changement presque tactilement. Ce fut une expérience au-delà du merveilleux. La peur que nous connaissions a été abandonnée. C’est l’autre Espagne, celle qui était franquiste, qui s’est mise à avoir peur de nous. Ce nouvel équilibre était agréable, on l’avait bien mérité. »


S’il était né dans un autre pays :
« J’aurais aussi été cinéaste. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai eu conscience que ma vocation était de raconter des histoires à travers des images. Si j’étais né aux Etats-Unis, j’aurais fait un film underground avec mes amis travestis, transexuels, et drogués. Puis je n’aurais plus rien fait pendant trente ans, et je me serais perdu en essayant de tourner des films avec d’autres acteurs. Si j’avais été anglais, j’aurais fait des films intéressants mais confidentiels. Si j’avais été turc, j’aurais peut-être fait un film si intéressant que Thierry Frémaux l’aurait fait venir à Cannes, ou alors ma carrière de cinéaste se serait arrêtée. Mais dans tous les cas, même si j’avais fait un film de rien de tout, quel que soit le pays, il y aurait eu un Européen, un seul, pour le voir : Bertrand Tavernier. »


S’il aurait été capable de travailler pour un studio, comme aux Etats-Unis :
« Le metteur en scène doit être celui qui dirige. Un film doit être construit sur un point de vue unique : celui du réalisateur. Quand entrent en jeu d’autres points de vue différents, c’est le chaos. J’aurais été incapable de vaincre ce système. Peut-être que j’aurais fait des films de série B ! »


Sur l’idée de Truffaut qu’on commence un film avec un rêve, et qu’on finit à ne plus penser qu’à faire le moins de compromis possibles :
« Tous les réalisateurs commencent avec un rêve qui commence à se matérialiser avec le scénario. Ensuite, c’est un voyage, une aventure où tout peut se passer. On peut même mourir, comme dans La Nuit américaine, de François Truffaut. Le rêve disparaît et devient autre chose d’inattendu, de passionnant. Alors je dis adieu au rêve et j’accueille cette nouvelle créature. J’ai besoin de passer par ces étapes pour découvrir l’histoire que je voulais raconter. Ce qui importe, c’est la vie de cette créature qui prend forme. »


S’il cherche toujours à renouveler l’originalité qui le caractérise :
« Chacun fait les choses à sa façon. Je ne l’ai pas décidé à l’avance. Je suis un réalisateur authentique dans le sens où je ne saurais pas faire autrement. Je suis autodidacte, j’ai appris les choses en les faisant. Cela provoque d’ailleurs un sentiment d’insécurité car je n’ai pas appris mon métier. Je serais donc incapable de répondre à une commande. »


Sur les moments de joie lorsqu’il est touché par ce qui se produit pendant le tournage :
« Sur Volver et Etreintes brisées, notamment, j’ai éprouvé ce plaisir incommensurable. Ces moments, l’équipe les ressent aussi, c’est une joie qui se lit sur le visage sans qu’on ait besoin de la dire. Je pense que c’est une des raisons qui font que les réalisateurs deviennent accros à leur métier. Ces moments magiques pendant les essais et les tournages, on cherche à les revivre. On a toujours une nostalgie de ces moments-là. »


S’il prendra sa retraite un jour ?
« C’est un moment très difficile dans la vie de chacun de prendre sa retraite. J’ai beaucoup de respect pour les cinéastes qui ont continué jusqu’au bout même s’il n’ont rien donné de nouveau. Il y a, évidemment, des exceptions. J’espère en faire partie. J’ai une image concrète qui illustre cet espoir : celle de John Huston, dans son fauteuil roulant, avec son masque à oxygène, tournant The Dubliners, l’espoir intact. Ce film est une des rares exceptions où le cinéma peut être comparé sur un pied d’égalité avec la littérature. Cette image ce John Huston, j’aspire à la devenir. Mais pas avant 80 ans ! »

 

Elsa Colombani

Catégories : Lecture Zen