Une heure avec Isabella Rossellini

 


Posté le  19.10.2014 à 11h41


 

Elle a filé sans qu’on s’en aperçoive… Une heure pour discuter avec Isabella Rossellini de ses parents, le couple légendaire Roberto Rossellini et Ingrid Bergman, de sa riche carrière, et de sa série Green Porno, consacrée à la vie sexuelle des animaux !

 LBF 0141Copyright Institut Lumière / Photo Loïc Benoit

 

Répondant aux questions d’Yves Bongarçon, Isabella Rossellini a confié tout l’amour qu’elle porte à ses parents et à leur travail, soulignant qu’elle les avait perdus avant ses 30 ans. Sa volonté est avant tout de préserver les films de son père, menacés pour certains de disparition. « Maman, dit-elle, avait le plaisir de tourner dans des genres de films différents, elle pouvait travailler dans les cinq langues qu’elle parlait sans accent, comme de nombreux Suédois. Je pense qu’elle était unique à avoir ce rayon de culture. »

L’actrice se prête avec aisance au jeu des questions réponses avec le public, qui demande en particulier des informations sur sa collaboration avec David Lynch. Elle raconte que lors de leur première rencontre, Lynch lui a demandé avec insistance le téléphone d’Helen Mirren, avec qui elle venait de tourner, et à qui il souhaitait offrir le rôle de Dorothy Vallens dans Blue Velvet. Lynch, qui avait apostrophé l’actrice d’un « vous ressemblez drôlement à Ingrid Bergman ! », envoie finalement le scénario à Isabella Rossellini. Elle demande à jouer les scènes avec un vrai partenaire, Kyle MacLachlan. Au bout de trois heures de ses essais, Lynch est convaincu et engage l’actrice qui deviendra pendant un temps sa compagne. « Lynch, confirme-t-elle, est un réalisateur qui a bien en tête ce qu’il cherche, mais qui ne parle pas. Ses émotions indiquent la direction à prendre ».

Interrogée sur la fameuse scène de nu dans Blue Velvet (une Dorothy Vallens traumatisée déambule sans aucun vêtement dans la rue), Isabella Rossellini explique qu’elle et Lynch s’étaient inspirés de la fameuse photo de Nick Ut d’une petite Vietnamienne fuyant son village bombardé au napalm. « Il fallait qu’on comprenne qu’elle s’était enfuie après un viol », explique l’actrice. « Si je me cache un peu, me suis-je dit, elle ne sera pas cassée. J’ai donc adopté ce geste. » Une scène bien difficile à tourner puisque dans la petite ville américaine où l’équipe s’était installée, les gens avaient organisé des pique-niques pour assister au tournage en famille… Le cinéaste tente d’avertir les spectateurs que la scène qu’ils vont tourner est dérangeante mais personne ne bouge. Le lendemain, la police informe Lynch  qu’il a perdu son autorisation pour tourner dans les rues…

De ses collaborations avec de jeunes réalisateurs, Isabella Rossellini parle avec enchantement. Denis Villeneuve, par exemple, avec qui elle a tourné Enemy, « est le plus gentil réalisateur que j’ai jamais connu. » Un jour, alors qu’ils étaient encore entrain de travailler, Villeneuve annonça à son actrice : « Il est 17h, il faut que j’aille chercher mes enfants à l’école ! » Du jamais vu, selon Isabella Rossellini, absolument conquise. Quant à James Gray (Two Lovers), il l’a émue par sa conviction que le cinéma peut changer la vie des gens. Avant le tournage, il loua une salle de projection à ses frais, afin de montrer à toute son équipe un film néoréaliste de Roberto Rossellini.

« Robert Redford a fait beaucoup pour le cinéma. Avec Sundance, il cherche à faire des choses expérimentales. » C’est pour le festival de Redford qu’Isabella Rossellini s’improvise cinéaste. Inspirée par la sexualité surprenante des animaux, elle tourne environ 40 films de deux minutes aujourd’hui condensés en un monologue intitulé Bestiaire d’amour . Pourquoi alors n’est-elle pas devenue réalisatrice ? « A cause de l’argent. J’ai deux enfants, pas de mari, je ne peux pas me permettre. J’ai trop vu David Lynch, Martin Scorsese, Guy Maddin et mon père lutter constamment. » Et le théâtre alors ? « J’en fais un peu. J’ai travaillé avec Bob Wilson, et maintenant j’ai Bestiaire d’amour. Mais le cinéma était plus pratique avec mes deux enfants. De plus, j’ai un accent dans toutes les langues que je parle. Je me sens donc plus à l’aise pour exprimer les émotions plutôt que de les dire. Le théâtre repose sur la voix, et je n’ai pas de langue qui soit la mienne. »

 

 

Elsa Colombani

Catégories : Lecture Zen