Trois questions à Bertrand Tavernier sur quelques films français

 


Posté le  15.10.2014 à 13H17


 

Parler de la société française d'hier en découvrant quelques films rares, c'est comprendre ce que les citoyens français que nous sommes, sont devenus. En une poignée de films secrets choisis par Bertrand Tavernier, on découvre que les jeunes filles étaient des adolescentes perdues, que les nuits de Paris pouvaient être troublées par la drogue et le sexe, et que les jeunes maris pouvaient être des hommes passionnés. Exactement comme aujourd'hui !

 

 DESORDRE ET LA NUIT 1958 04

 

Comment avez-vous choisi ces quelques films français ?

Bertrand Tavernier : D'abord ce qui lie ces films, ce sont les rôles profonds et très précis, particuliers qu'ils offrent aux acteurs. Le Désordre et la Nuit (Grangier, 1958) permet à Jean Gabin de jouer une histoire d'amour très forte, très audacieuse pour l'époque, et par rapport à la morale qu'on attache à Gabin. Il est un flic qui tombe amoureux d'une droguée plus ou moins mêlée à une affaire criminelle, et avec laquelle il couche dès le premier soir. De la même manière, les gens seront surpris par Michèle Morgan dans L'Entraîneuse (Valentin, 1939, le rôle d'une entraîneuse qui le temps de vacances redevient une jeune fille comme les autres), qui est sidérante de modernité, de dignité, de force dramatique.

 

Il y a aussi Bernard Blier dans Le Café du Cadran (Gehret, Decoin, 1946) dans le rôle d'un jeune mari tourmenté.

B. T. : Bernard Blier en effet qu'on met toujours dans des rôles de comédies ou dans des rôles dramatiques mais secondaires, est là incroyablement juste, organique. Il dégage une vérité très très forte. Donc ce sont des films qui permettent de découvrir ou redécouvrir des acteurs trop souvent traités de manière stéréotypée. Ce cycle est fait aussi pour bousculer les idées reçues.

 

Votre choix de films a un autre point commun : ils forment tous un portrait de la France.

B. T. : Ils possèdent une réalité sociologique. Le Désordre et la Nuit montre une mixité sociale, mais il le fait de manière calme, sans dire : « Attention ! Regardez ! Nous sommes en train de briser des tabous! » Non, il le fait comme ça, avec une sorte d'assurance et d'évidence tranquille. Ce sont toutes ces qualités qui m'ont données envie de choisir ces titres. C'est évident aussi que Le Café du Cadran parle de la société française avec une énorme justesse. Ce film est une peinture de la France des hôtels, des cafés, de l'attitude des gens à l'intérieur de ces endroits si spécifiques. Le Diable souffle (Gréville, 1947) est un film plus marginal. Il parle de la France qui existe, mais de façon très très très oblique, alors que Le Désordre et la Nuit parle de façon directe, de came, de rapports sexuels, d'une police confrontée à un Milieu encore fraîchement compromis dans la Collaboration. Gréville lui, affectionne les mondes clos, les passions secrètes. Il veut montrer comment le désir dicte chaque sentiment. Les personnages du film sont coincés sur une île. L'un d'entre eux est recherché par la police franquiste espagnole. Un autre, incarné par Charles Vanel est une sorte d'anarchiste, exilé volontaire qui ramène chez lui un troisième personnage marginal, déclassé, qui est sans doute une prostituée. D'une certaine manière ces trois personnages sont des rejetés de la société. Par conséquent on finit quand même par parler de notre monde, même en mettant en valeur les gens qu'il rejette.

 

Virginie Apiou

 

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