Pierre Rissient a rencontré Ida Lupino

 


Posté le  14.10.2014 à 10h53


 


« Je vois une personne humaine qui s'exprime. »

 

 Ida Lupino1

 

Quel a été votre premier contact avec la comédienne et cinéaste Ida Lupino ?

Pierre Rissient : Mon premier contact avec Ida Lupino a d'abord été téléphonique. J'étais un grand admirateur de ces films en tant que réalisatrice. Je l'ai donc rencontrée en 1966 à Los Angeles. C'était dans un bar restaurant, El Padrino. J'arrive en avance, elle état déjà là. Je me rends compte très vite qu'elle avait bu quelques verres. Elle m'a demandé de m'asseoir du côté de sa meilleure oreille. Elle avait eu une oreille abimée quand elle était jeune, en contractant la polio. Elle avait gardé quelques séquelles. Ca la rendait vulnérable et émouvante. D'ailleurs, tout à coup très délicatement, elle m'a interrompu pour m'avouer : « Pierre, il faut m'excuser, j'ai un peu bu car je suis très émue qu'un jeune cinéphile et critique français veuille me rencontrer. »  Ida Lupino était comme ça, très chaleureuse, très humaine. Elle ne s'est exprimée qu'à travers des personnages vulnérables. Faire face (Never Fear, 1949) son second film, parle d'une jeune femme qui a eu la polio. Je l'ai revue une quinzaine d'années plus tard sur Montana avenue. Elle vivait très très  modestement dans un très petit appartement. La conversation était amicale et merveilleuse mais elle n'était pas le type de femme metteur en scène qui répond intellectuellement sur son travail. Après je l'ai perdue de vue et je l'ai beaucoup regretté. Elle est morte en 1995.

 

Peut-on dire qu'elle ne réalisait que des films à hauteur d'hommes ?

P. R. : Oui, exactement. Elle a par exemple décidé de faire son premier film Avant de t'aimer (Not Wanted, 1949, sur le rapport des mères et de leurs enfants) parce qu'à l'époque, il y avait un très grand puritanisme en Amérique. Les filles-mères et leurs enfants étaient très maltraités. Elle a choisi ce sujet par générosité, par conviction. C'est un film magnifique porté par le sens instinctif de la mise en scène et des gens qu'avait Ida Lupino. Sa réalisation est reliée à la vie. Elle est très directe fluide, limpide, elle contient un regard à fleur de peau, celui d'une artiste écorchée vive qui traduit une humanité profonde. Lupino mettait en scène sans se poser la question de ce que c'était, par conséquent, le placement de sa caméra était naturel et juste.

 

Pourquoi n'est-elle pas plus connue du grand public ?

P. R. : Ce n'était pas du tout une carriériste, une arriviste. Elle ne cherchait pas du tout à s'imposer comme metteur en scène. D'ailleurs au départ elle ne pensait même pas réaliser. Elle a mis en scène  son premier film parce qu'elle a pris le relais d'un réalisateur qui a fait une crise cardiaque sur le plateau.

 

Virginie Apiou

 


 

    Pierre Rissient est  l'une des personnalités les plus influentes du cinéma international. Dès le milieu des années 1950, avec ses amis lycéens du cercle des « macmahoniens », il se passionne pour des cinéastes américains mis sur liste noire par le maccarthysme (Joseph Losey, Jules Dassin, Dalton Trumbo…). Il est ensuite assistant de Jean-Luc Godard, attaché de presse influent avec Bertrand Tavernier, conseiller artistique, producteur, réalisateur (Alibis en 1977 et Cinq et la peau en 1982), introducteur en occident du cinéma asiatique, découvreur de Jane Campion, Clint Eastwood et de nombreux autres talents. En 2007, son ami Todd McCarthy, rédacteur en chef de la revue Variety, réalise le documentaire Homme de cinéma : Pierre Rissient.

Catégories : Lecture Zen